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De la fille (de) à la femme… Une (con)quête de la féminité.

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Sebastien FOURNIER

lundi 05 août 2019

De la fille (de) à la femme…

Une (con)quête de la féminité

 

 

      Hormis sur la question de l’hystérie, Freud s’est très peu intéressé à la figure de la femme. Il l’a, pour ainsi dire, mis de côté, se contentant d’avancer « qu’il n’y a de  libido que masculine » 1 . Ses successeurs et disciples ont également, pour beaucoup, ignoré ce champ d’investigation. Il faut attendre les travaux des psychanalystes anglo-saxons, Winnicott, Klein et Bion entre autres, pour trouver la trace de véritables réflexions sur le sujet, et encore, ces derniers se sont surtout centrés sur la dimension maternelle ; autrement-dit, sur une période spécifique de la vie des femmes. Ainsi, nous sommes forcés de constater que cet objet d’étude est longtemps resté au second plan. Or, cette place particulière mérite qu’on en dise quelque chose.

De toute évidence, les recherches théoriques présentent la femme ( via son statut et son identité sexuelle) de manière extrêmement paradoxale. C’est peut être même sur cet aspect précis (et probablement signifiant) que nous devons nous arrêter un instant… S’il est possible de remarquer que la femme est le plus souvent absente des préoccupations psychanalytiques (surtout dans un premier temps), elle semble toujours omniprésente en arrière fond, en creux, comme induite en filigrane. 

En utilisant la métaphore de la photographie, on pourrait presque dire qu’elle est – d’un point de vue symbolique – comme le négatif d’une pellicule : à la fois indispensable car elle porte en elle le lieu de l’origine et pourtant très (trop) souvent délaissée...

Avec ce travail, nous proposons donc de (re)penser le statut de la femme (ou peut-être des femmes…) avant d’essayer d’esquisser les singularités de son processus de construction identitaire et sexuelle. En effet, au regard de la culture, de l’anthropologie et de la théorie analytique, qu’est ce qu’être la fille (de) et comment cette fille (de) parvient-elle à devenir femme ?

La femme ou les femmes ?

      Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient déjà de poser quelques jalons. Pour cela, nous tenterons, dans ce paragraphe, d’aborder la notion même de femme – cet « adulte de sexe féminin, par opposition à la fille, ou à la jeune fille » 2 . Nous réfléchirons aussi à la question suivante : doit-on parler de la femme au singulier ou au contraire, se référer au pluriel afin de dire les femmes ?

Nous savons grâce aux études – souvent sociologiques – que la condition de la femme ou plutôt des femmes, renvoie à des réalités multiples et disparates. De nos jours, certaines d’entre elles partagent, par exemple, des ambitions à la fois professionnelles et familiales. Ces dernières souhaitent réussir leur vie sur ces deux plans. Il s’agit, en général, de femmes qui parviennent à faire coexister, et donc à concilier, des activités et des contraintes différentes à partir de choix engageants. Toutefois, toutes ne sont pas dans cette situation. Elles sont nombreuses à ne pouvoir investir qu’un seul de ces deux domaines (la sphère familiale ou la sphère professionnelle). En outre, beaucoup de femmes se situent encore dans un « modèle » assez traditionnel (que ce soit par choix ou non) puisqu’elles centrent presque exclusivement leur existence sur leur engagement familial. Et, à l’inverse, les bouleversements socioculturels permettent également l’émergence de femmes très indépendantes, solitaires et tournées (entièrement parfois) vers la réussite professionnelle.

Comme nous le voyons, il est difficile d’envisager une quelconque unité, une quelconque figure universelle de la femme. De surcroît, cette première lecture prend une toute nouvelle dimension si nous nous référons maintenant à la théorie psychanalytique. 

A cet égard, les travaux de Jacques Lacan méritent notre attention car ils sont propices à la continuation et l’approfondissement de cette réflexion. Le psychanalyste parisien a, il est vrai, fait de la construction sexuel du sujet humain un thème important dans ses recherches. « L’amorce de la question se présente [chez lui] dès le Séminaire  L’envers de la psychanalyse  (1969-1970). Mais c’est surtout dans  D’un discours qui ne serait pas du semblant (1971, inédit), qu’il développe de façon précise toute une argumentation sur le ‘‘rapport sexuel’’ entre hommes et femmes et la logique de la sexuation. Lacan consacre ensuite l’année suivante de son enseignement à un approfondissement systématique de cette question dans son Séminaire  Ou pire (1971-1972, inédit), qu’il mène conjointement à une série d’exposés réunis sous le titre  Le savoir du psychanalyste (1971-1972, inédit) où nous trouvons, semble-t-il, pour la première fois, les formules de la sexuation […]. Enfin, le Séminaire  Encore (1972-1973), conclut d’une façon magistrale la réflexion engagée jusqu’alors par Lacan sur la sexuation » 3 . A partir du travail d’élaboration conséquent qu’il a réalisé, nous pouvons mettre en évidence plusieurs grandes idées. 

La première, puisqu’elle sous-tend toute sa théorie, c’est que la sexuation s’ordonne par rapport à la fonction phallique – notée Φx. Par fonction phallique, Lacan désigne surtout les effets (les incidences) de la castration et/ou de la Loi sur la construction du sujet parlant. Il ne s’en remet pas à la seule dimension de l’ avoir phallique  mais cherche davantage à repérer les propriétés de cet objet (le phallus) qui est « autant absent que présent » 4 . C’est d’ailleurs de son absence, ou plutôt du manque qu’il occasionne alors, que se fonde sa présence.

Dans un second temps, il nous faut souligner dans ses recherches, les deux formules de la sexuation féminine ci-dessous car elles permettent de traduire sa pensée de manière dynamique.

La première : 

La seconde : 

En s’y intéressant de plus près, on s’aperçoit en effet, qu’aucunes d’entres elles ne traduit une universalité possible. « Si l’ensemble universel ne peut être postulé, c’est parce qu’il existe au moins un élément qui y échappe : ainsi [mathème à la double négative] ‘‘il n’existe pas un x qui fasse exception à la fonction phallique’’, devrait revenir à l’universelle affirmative, ‘‘ tout x est concerné par la fonction phallique’’. Ce n’est ici pas le cas : l’exception qui permet de fonder l’universel de la femme n’existe pas. Par conséquent, les deux formules classiquement contradictoires sont ici posées dans un rapport de causalité : c’est parce qu’il n’existe pas de ‘‘x’’ qui ne soit pas soumis à la fonction phallique, que ‘‘ce n’est pas toute femme qui s’y inscrit’’ 5 - » 6 . Lacan nous explique à cette occasion qu’il « n’y a pas La femme » 7 et que « les femmes ne sont pastoutes » 8 . « Ainsi, le rapport des femmes à la fonction phallique peut sembler paradoxal : toutes castrées et pourtant si peu castrables, pas une n’échappe à la fonction phallique et pourtant ‘‘pas-toutes’’ n’y sont soumises » 9 . Tel est l’enseignement qu’il nous propose. Autrement-dit, pour que Lafemme existe, il faudrait supposer qu’au moins une d’entre elle fasse exception à la fonction phallique. Nous aurions alors La femme capable d’être l’équivalent du père symbolique (nous faisons référence à celui de la horde dans Totem et Tabou 10 ), laquelle indiquerait donc à toutes les autres femmes le lieu d’une jouissante équivalente à celle de ce Père devenu Nom-du-père, soit une jouissance inaccessible et interdite soustraite à la castration. Dans ces circonstances, nous aurions au même titre que chez les hommes, une limite imposée à toutes les autres femmes, leur permettant de constituer enfin un ensemble universel. Mais le fait que « Lafemme n’existe pas implique l’absence d’universalité et, par voie de conséquence, l’existence de la contingence » 11 . Devant autant de singularités, il paraît nécessaire de chercher à identifier et comprendre les processus inhérents à leur construction sexuelle.

Processus de construction sexuelle des femmes – d’après les travaux de Jacques Lacan

      A l’évidence, le processus psychique de castration des femmes est différent de celui des hommes, cependant cette différence n’a rien à voir avec la dimension anatomique. Posséder ou non un pénis ne suffit pas à déterminer l’identité sexuelle d’un être humain. C’est, en tout cas, ce que montre l’évolution des normes (et des mœurs) dans notre société où un nombre croissant d’individus se disent « étrangers » à leur propre corps. Certains d’entre eux ayant même recours à la chirurgie esthétique pour « corriger » ce qu’ils considèrent comme une « erreur ». Or, si Freud adopte – un temps – une position assez naturaliste sur la question, Lacan la dépasse totalement. Selon lui, la sexuation provient certes, de la castration mais cette castration n’est pas une affaire d’anatomie. A aucun moment il ne s’agit d’une mutilation réelle. Ce serait un véritable contre-sens de défendre cette position surtout qu’anatomiquement, il ne manque rien aux femmes. La castration s’opère donc sur un autre registre que celui du réel…

Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faille nier les effets que la découverte de la différence des sexes occasionne. Chez la petite fille, l’absence de pénis est rapidement remarquée et cette particularité – le « ne pas avoir » - est susceptible d’amener une frustration ; c'est-à-dire, le manque imaginaire d’un objet réel. Sauf que la frustration ne peut pas remplacer la castration. Et, pour que la castration intervienne, il est nécessaire que le manque passe de l’imaginaire au symbolique, plus précisément que l’objet d’imaginaire, devienne symbolique. L’étape intermédiaire est celle de la privation comme modalité du manque, comme manque réel d’un objet symbolique car « une privation ne peut être effectivement conçue que pour un être qui articule quelque chose dans le plan symbolique » 12 remarque Lacan.

Finalement, pour appréhender les enjeux de la construction sexuelle des femmes, il faut inévitablement porter un regard tridimensionnel afin de mettre en perspective le réel, le symbolique et l’imaginaire (RSI). C’est ce que nous avons essayé de faire en identifiant certains phénomènes importants comme la frustration (le manque imaginaire d’un objet réel), la privation (le manque réel d’un objet symbolique) et la castration (le manque symbolique d’un objet imaginaire).

Le déploiement et l’articulation de ces trois registres obéit à une structure logique. « Ainsi, la castration est en quelque sorte donnée au départ – sous la modalité de la frustration –, mais doit se révéler comme telle à travers un mouvement dialectique qui fait passer de la frustration à la privation » 13 .

En théorie, la petite fille (qui n’a pas de pénis) entre dans l’Œdipe en se tournant vers le père, après avoir constaté l’absence de pénis chez sa mère. Cependant, elle ne reçoit pas un pénis pour autant. Elle s’inscrit donc une nouvelle fois dans la frustration. Ici, le père n’intervient qu’en position de remplacement. Il est supposé répondre et combler la frustration. Cela veut dire que le manque imaginaire de l’objet réel (le pénis) est en train d’évoluer vers le manque réel d’un objet devenu symbolique. Comme Lacan le précise : « c’est parce que c’est déjà au niveau symbolique que se présente le pénis du père, dont nous avons dit qu’elle l’attend comme un substitut de ce qu’elle a perçu comme ce dont elle est frustrée, que nous pouvons parler de privation » 14 . L’objet du manque est alors élaboré de manière symbolique. « La privation est tout à fait réelle, tout en ne portant que sur un objet symbolique. […] c’est donc bien à titre de privation que le désir du père intervient à un moment de l’évolution » 15 .

Ce passage de la frustration à la privation semble occuper une place importante lors de l’Œdipe, il induit de surcroit un autre passage : celui de la privation à la castration. Si sur le plan du réel, les femmes sont privées, ce qui les amènent à symboliser l’objet du manque, sur le plan symbolique, elles sont castrées, ce qui les oblige, cette fois, à concevoir  via l’imaginaire l’objet du manque : le phallus. Ce phallus étant chez Lacan, le signifiant du désir (qui répond au manque à être) ; c'est-à-dire le signifiant de l’objet perdu – envisagé comme une complétude béate avec le corps de la mère, une sorte d’objet total. Sur ce point, il est possible de trouver une résonnance avec les propos de Kierkegaard qui affirmait dans son  Post-scriptum définitif et non scientifique aux miettes philosophiques  que « l’existence est l’envers du système en ce qu’elle se caractérise par ses apories, ses failles, ses fractures, mais aussi par ce qui la maintient dans l’épreuve désirante de ce qu’elle n’est pas, de ce qu’elle n’a pas » 16 .

Selon toute vraisemblance, cette « forme imaginaire du phallus » 17 permet une castration des filles qui ressemble quelque peu à celle des garçons. Il s’agit, chez elles (comme chez les garçons du reste), d’un pas décisif dans la réalisation de l’Œdipe. Néanmoins, la particularité de cette forme imaginaire du phallus les oblige à une identification qui passe par le père.

Effectivement, il n’y a pas de symbolisation du sexe féminin comme tel, ou en tout cas, « la symbolisation n’est pas la même, n’a pas la même source, n’a pas le même mode d’accès que la symbolisation de l’homme » 18 . Comment pourrait-il en être autrement puisque le sexe féminin est difficilement symbolisable. Il « a un caractère d’absence, de vide, de trou, qui fait qu’il se trouve être moins désirable que le sexe masculin » 19 . C’est pour cela que les petites filles s’inscrivent, pendant l’Œdipe, dans une position d’aliénation et de désir envers l’objet dont elles sont privées afin de chercher à le posséder malgré tout, par procuration.

En résumé, chez les filles, le phallus est là en tant qu’absence, mais ne pas l’avoir, revient à l’avoir sur le plan symbolique. Elles parviennent très bien à être sans avoir. Il s’agit d’une particularité qu’il nous faut souligner car elle permet de cerner plus facilement les caractéristiques de leur castration. En outre, ceci permet de comprendre pourquoi « il n’y a pas de solution par la mère à la question : qu’est ce qu’être une femme ? La question de l’identité est adressée au père. Du père comme lieu de la loi, le père devient pour cette même raison – parce qu’il est Nom-du-père […], l’adresse de la question de l’identité féminine. En effet, c’est le positionnement par rapport à la fonction phallique et le mode de jouissance qui y correspond qui fait la sexuation » 20 . A cet égard, la figure paternelle a une fonction décisive. Si elle participe d’un côté à l’instauration d’un pôle limitant – sorte de Surmoi précoce, elle permet également l’émergence d’un pôle beaucoup plus attractif, que Freud nomme « l’Idéal du Moi » 21  . Ce dernier pôle constitué surtout d’ébauche et d’imagos amène la petite fille à chercher une position préférentielle auprès de ce père idéalisé. Ce faisant, elle effectue un détour indispensable dans son processus de sexuation. Lacan indique à ce propos que pour la femme, la réalisation de son sexe ne se fait pas dans le complexe d’Œdipe d’une façon symétrique à celle de l’homme, non pas par identification à la mère, mais au contraire par identification à l’objet paternel. A terme, son désir de pénis se transforme progressivement en désir d’enfant(s). La plupart des femmes poursuivent ensuite cette quête.

Attention toutefois, la seule substitution de la mère par le père ne parvient pas à produire le signifié d’une identité féminine. En effet, les filles ne s’assujettissent jamais totalement à la métaphore paternelle puisque leur relation au père, aussi intense soit-elle, est incapable de faire disparaitre l’Autre primordial. Ainsi, persiste un attachement indéfectible à cette mère archaïque qui a donné la vie. Ce reste vient d’ailleurs fragiliser la métaphore paternelle. C’est pourquoi, les femmes sont exposées à une forme de défiliation qui se joue à plusieurs niveaux : d’abord celui de l’identité sexuelle, puisqu’il s’agit d’advenir comme femme, mais aussi celui de la reconnaissance, qui les inscrits comme « fille de ». Pour preuve, si elles héritent d’un nom de famille  via leur père, c’est de manière transitoire. Une fois mariées, elles portent (en général) le nom de la lignée qu’elles intègrent.

On peut dire que la sexuation féminine s’opère dans un entre-deux, dans l’intervalle père/mère. C’est un processus qui entretien un rapport étroit avec la notion de limite puisqu’il met en tension différents éléments sur les trois registres que nous avons précédemment évoqués. C’est, en outre, pour cette raison que les femmes ne sont « pas toute(s) » soumises à la fonction phallique. Elles occupent une sorte de position intermédiaire, presque « hybride », qui semble constitutive de leur identité sexuelle. Evidemment, cela n’est pas sans conséquence, puisqu’elles ne sont donc jamais substantiellement filles, jamais entièrement « filles de ».

Identités féminines et société

      Les réflexions que nous avons menées jusque là tendent à montrer qu’il existe une multitude d’identités féminines et que le processus de construction de ces identités est pour le moins complexe. Or, tous ces constats nous aident à mieux appréhender le rôle et la place des femmes dans l’environnement social. Un rôle et une place qui ont, de plus, beaucoup évolués au fil du temps – surtout à partir de la seconde moitié du vingtième siècle. Il faut dire que les femmes ont successivement acquis le droit de vote (en 1944), le droit de travailler sans l’accord de leur mari (en 1965), celui de recourir à la contraception (en 1967), puis de pouvoir bénéficier de l’interruption volontaire de grossesse (en 1975). Avant cela, elles étaient en quelque sorte soumises à l’autorité des hommes : leur père d’abord et leur mari par la suite.

Aussi, comment ne pas mettre en lien les caractéristiques de la sexuation féminine – la fillation – et sa difficile reconnaissance symbolique – la filiation – avec ce mouvement progressif mais relativement récent d’émancipation ? Il parait, en tout cas, pertinent d’envisager des liens de causalité entre cette structuration identitaire et les fonctions qui ont été attribuées aux femmes dans la société.

A l’image du processus de construction sexuelle, il y a de véritables différentes sociales entre hommes et femmes. Aujourd’hui encore, il est possible d’observer certaines inégalités : salaires, niveaux de responsabilité, répartition des rôles familiaux (des tâches ménagères par exemple) etc… Heureusement, ces inégalités ont tendance à se réduire grâce, entre autres, aux luttes engagées par le mouvement féministe et la prise de conscience de l’opinion publique. C’est probablement ce que l’affaire « Hervey Weinstein » (du nom de ce producteur de cinéma qui usait de sa position et de son influence pour avoir des rapports sexuels avec certaines des actrices qu’il dirigeait) est venue révéler. Fin 2017, le scandale éclate. Il défraye la chronique et amène avec lui sur le devant de la scène le thème des violences sexuelles commises par des hommes sur les femmes. Evidemment, ce renvoi dans le réel à l’homme archaïque, pulsionnel et tout-puissant (ou qui croit l’être) choque terriblement. De nombreuses campagnes médiatiques s’emparent du sujet. Les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc apparaissent sur les réseaux sociaux. La parole se libère et beaucoup de femmes s’autorisent à prendre place dans le débat public. Pendant plusieurs mois, leur condition, leurs droits, leur statut et les obstacles qu’elles rencontrent font l’objet d’une attention médiatique importante. Des personnalités culturelles et sportives se positionnent. Le gouvernement français légifère et promulgue la loi Schiappa qui entend lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Une loi dont il est, certes, encore un peu difficile de valider l’efficacité mais qui représente une avancée sociale bien que certaines associations voient là une « occasion manquée » et dénoncent de « simples ajustements ».

Quoi qu’il en soit, le séisme provoqué par l’affaire « Hervey Weinstein » a eu d’importantes résonnances aux Etats-Unis (USA) et en Europe. Il a notamment permis d’unifier un grand nombre de femmes (et des hommes) derrière une cause commune tout en laissant s’exprimer, en parallèle, une pluralité de visions du féminisme. Notons à ce propos que le mouvement féministe est lui-même traversé par différents courants (principes, fondements, objectifs, idées). Il est donc totalement impossible de l’appréhender comme un ensemble homogène.

Parmi eux, nous pouvons citer le courant dit « libéral égalitaire » qui se fixe comme horizon l’indifférence des sexes dans le cadre de l’espace public. Ce dernier a pour objectif l’évolution des dispositions légales par la voix législative. Il se veut réformiste. Confiant dans le progrès et les vertus de l’éducation, il cherche à agir sur les mentalités sans développer pour autant une analyse systémique du contexte socio-économique. En cela, il se distingue nettement du courant de tradition marxiste et socialiste qui propose lui, de penser la condition des femmes à partir de cette grille de lecture. Elaboré à partir de la pensée du philosophe Engels (1820-1895), le féminisme de tradition marxiste et socialiste entend rassembler pour porter collectivement des revendications susceptibles de dévoiler les contradictions du système économique. On retrouve ici une logique de lutte des classes, les femmes étant une classe à part entière. Enfin, il parait incontournable d’évoquer aussi le féminisme radical (un mouvement plus récent) qui voit en l’oppression des femmes par les hommes, le fondement du système de pouvoir sur lequel les relations humaines sont organisées dans la société. Ce courant se démarque des deux premiers puisqu’il vise, ni plus ni moins, le renversement du patriarcat. Pour y parvenir, plusieurs stratégies sont envisagées, allant du développement d’une culture féminine alternative, jusqu’au séparatisme, en passant par des actions fortes (manifestations, grèves de la faim). Ces trois courants témoignent bien de la multiplicité des visions et des sensibilités que l’on retrouve à l’intérieur même du féminisme. Nous aurions même pu en citer d’autres : le courant matérialiste, le courant différentialiste, le courant anarchique etc… C’est à nos yeux, une nouvelle illustration montrant que lafemme n’existe pas et que les femmes ne sont pastoutes.

Conclusion

      La sexuation de la femme, ou plutôt des femmes, nous offre de nombreux enseignements lorsqu’on accepte de s’y intéresser. En effet, si ce processus renvoie à des particularités, des singularités – c’est ce que nous avons essayé de mettre en lumière –, il possède aussi des points communs avec la sexuation masculine. L’Œdipe semble être, dans les deux cas, aussi bien une clé de voute dans la construction identitaire de l’individu, qu’un facteur d’ouverture vers l’altérité. Deux dimensions qui ne sont pas forcément paradoxales puisque penser l’altérité conduit inévitablement à s’interroger sur ce qui est autre ( alter ) que nous ( ego ). En principe donc, la notion d’altérité ne peut pas être séparée de celle d’identité. 

BIBLIOGRAPHIE :

DOR Joël,  Introduction à la lecture de Lacan , Paris : Denoël, coll. « L’Espace analytique », 2002.

FREUD Sigmund,  Psychologie des foules et analyse du Moi , Paris : Payot et Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot » (Poche), 2012.

FREUD Sigmund,  Totem et tabou , Paris : Payot et Rivages, col. « Petite bibliothèque Payot » (Poche), 2001.

KIERKEGAARD Søren,  Post-scriptum définitif et non scientifique aux miettes philosophiques , Vol. I,  Œuvres Complètes , Tome X, Paris : De l’Orante, 1996.

LACAN Jacques,  Autres écrits , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien, 2001.

LACAN Jacques,  Les formations de l’inconscient , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1998.

LACAN Jacques,  Encore (1972-1973), Paris : Seuil, coll. « Points » (format poche), 1975.

LACAN Jacques,  La relation d’objet (1956-1957), Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1998.

LACAN Jacques,  Les psychoses , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1981.

LACAN Jacques,  Ou pire… (1971-1972), Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 2011.

1 LACAN Jacques,  Encore (1972-1973), Paris : Seuil, coll. « Points » (format poche), 1975, p.102.

2 http://www.larousse.fr/dictionnaires/français/femme/33217

3 DOR Joël,  Introduction à la lecture de Lacan , Paris : Denoël, coll. « L’Espace analytique », 2002, p.507.

4 LACAN Jacques,  La relation d’objet (1956-1957), Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1998, p.152.

5 LACAN Jacques,  Ou pire… (1971-1972), Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 2011, p.102.

6 D’après l’enseignement de Mme Reverdy (chargée d’enseignement au département de Psychanalyse de l’Université Paul- Valéry Montpellier 3) intitulé « Ethique du sujet et psychanalyse » (2018/2019).

7 LACAN Jacques,  Encore (1972-1973), Op.cit., p.68.

8 LACAN Jacques,  Autres écrits , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien, 2001, p.466.

9 Toujours d’après l’enseignement de Mme Reverdy.

10 FREUD Sigmund,  Totem et tabou , Paris : Payot et Rivages, col. « Petite bibliothèque Payot » (Poche), 2001.

11 DOR Joël, Op.cit., p.518.

12 LACAN Jacques,  La relation d’objet , Op.cit., p.99-100.

13 D’après l’enseignement de Mme Reverdy.

14 LACAN Jacques,  Les formations de l’inconscient , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1998, p.349.

15 Ibid, p.277.

16 KIERKEGAARD Søren,  Post-scriptum définitif et non scientifique aux miettes philosophiques , Vol. I,  Œuvres Complètes , Tome X, Paris : De l’Orante, 1996, p.112.

17 LACAN Jacques,  Les psychoses , Paris : Seuil, coll. « Champ Freudien », 1981, p.198.

18 Ibid.

19 Ibid, p.199.

20 D’après l’enseignement de Mme Reverdy.

21 FREUD Sigmund,  Psychologie des foules et analyse du Moi , Paris : Payot et Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot » (Poche), 2012.

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