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Acte éducatif et psychanalyse - Synthèse 2 - Groupe de travail de Besançon

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Eric Simon

lundi 26 août 2002

"Prendre en compte l'inconscient, cela n'est pas réservé aux analystes; les travailleurs sociaux, à condition de se soumettre à une éthique qui y engage, y sont aussi confrontés." Joseph Rouzel

Synthèse (Octobre 2000 - mai 2001)

Le 06 juin 2000 prenait naissance à Besançon un petit groupe de travail sur la question de l’arrimage de l’acte éducatif à la psychanalyse. Une première synthèse des comptes rendus des temps de travail compris entre les mois de juin et octobre 2000 a été réalisée au mois de décembre de la même année. Cette deuxième synthèse concerne la période comprise entre le mois de novembre 2000 et le mois d'avril 2001. Tout comme la première, cette deuxième compilation de réflexions et de notes de réunions n'a pas d'autre prétention que d'être une invite à partager notre cheminement.


Le risque - réunion du 14 novembre 2000 p 4

La responsabilité du sujet - réunion du mardi 19 décembre 2000 p 7

Un espace articulé au risque et à la responsabilité : le Saes p 9

Un groupe de travail ? - réunion du mardi 23 janvier 2001 p 13

Le temps de l'envie - réunion du mardi 27 février 2000 p 15

Soutenir le désir - réunion du mardi 27 mars 2001 p 17

Le risque

réunion du 14 novembre 2000

“ C’est là tout l’enjeu de l’éducation (spéciale ou pas) que d’introduire un autre humain à cette tension entre jouissance et plaisir, fantasme et réalité, pulsion et désir. ” Joseph Rouzel

“ Que fait-on quand on prend cet échec du projet comme preuve de la nocivité ou de l’inadéquation du placement, on refuse l’accès au symbolique, tout crûment ! ” Jeanne Lafont

Le risque ! Il était justement question de cela lors de nos deux derniers temps de travail. Risque de dire, risque de donner sa position (en terme de marine donner sa position, c’est une façon d’indiquer son lieu et donc d’être repérable), risque de ne pas combler le manque et risque d’y être, comme en boomerang, confronté. Risque enfin de dire sans concession et sans séduction que tout désir réclame sa livre de chair.

Peut-il y avoir un acte éducatif sans que soit prise en considération la dimension du risque ? Au lieu de notre cheminement, tenter de répondre à cette question nous amène à traverser deux lieux principaux où se joue le risque. Le premier peut être celui qui renvoie à la solitude du sujet qui parle et à ce que la parole vient décaler en lui-même. Le second engage dans l’acte éducatif ce curieux double mouvement qui s’appelle le transfert.

* Le lieu de la solitude

Etre seul–e. Parler pour communiquer et réaliser que parler isole malgré tout et renvoi à la solitude du sujet. Comme l’un d’entre nous en faisait le constat in situ , je risque du seul fait que je parle. C’est ça aussi le risque, celui qui s’expérimente au cœur même d’un groupe de travail à condition de parler de ses questions.

Le risque que se dévoile en ces lieux ce qui nous fait vibrer… et peur… et plaisir… et jouissance.

Pour exemple cette question que pose la prise de position dans le travail quand elle se heurte à la pénible impression de savoir ce qui sera bien pour l’enfant alors que dans le même temps l’acteur doute d’avoir vraiment tout fait comme il devait le faire. Il y à comme un risque à prendre… dans le non-savoir ! C’est une façon de tenter de diminuer le risque que d’imaginer qu’il puisse exister une parole incontestable, propre, parfaite, garantie contre tout vice de forme. Une parole finalement qui confondrait tout contradicteur et assurerait au locuteur une force supérieure du fait de la conviction qui anime tout porteur de la vérité . Une parole qui affranchirait l’énonciateur du risque de la mise en échec. Il faut à ce point reprendre ce passage d 'Un monde sans limite de Jean-Pierre Lebrun : “ Un autre trait encore du marquage du social par la science, c’est que l’échec, finalement, n’y a plus droit de cité. Nous connaissons la formule souvent utilisée aujourd’hui : « échec à l’échec ! » L’échec, le ratage ou même l’incertitude n’ont plus bonne presse. En revanche, aujourd’hui, c’est l’erreur qui est à rechercher, avec sa contre-partie qui est la nécessité inflative de s’assurer, au sens de fournir un maximum de garanties pour soutenir sa parole […] ”.

A quel souci de perfection sommes-nous ici renvoyés et quelle épreuve du manque est encore évitée ? En reprenant l’exemple d’une tradition séculaire de l’art arabe, Pierre REY in Le désir précise qu'« à supposer que puisse être conçu le chef-d’œuvre absolu, sa perfection même, excluant le défaut sans lequel nulle œuvre n’est complète, le reléguerait au rang des créations inachevées. » En bout de course, la question reste celle d’une position qui ne peut pas se justifier sans que soit admit qu’elle contienne, de manière intrinsèque, une part d’erreur. C’est en l’acceptant que le sujet qui parle pourrait se concevoir comme manquant. Dans l’affaire, l’autre du face à face y gagne quand même quelques chances de pouvoir parler à son tour.

Il est difficile ici de ne pas repenser à toutes ces situations où les acteurs de l’éducation spéciale écrasent de leurs réponses toutes questions posées. La parole, en ce cas, s’oppose à la formule reprise à Martine Fourré et selon laquelle “ la loi, c’est le silence ”.

* Le lieu du transfert

Jeanne Lafont rappelle que le sujet ne saurait rencontrer quelqu’un, et lui parler, sans projeter une part aussi infime soit-elle, d’imaginaire qui lui soit personnelle, et inconsciemment déterminée. Si pour l’enfant il y a risque à s’y engager, pour l’adulte il y a, et cela fait justement partie du travail, risque à être pris pour un autre…

Dans différentes revues ( La lettre du GRAPE, Transition ) et dans son ouvrage intitulé “ Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse” , elle développe à l’aide de la notion du transfert ce qu’elle perçoit comme enjeu de la relation en éducation et plaide pour une mise en travail de ce qui se joue, dans toute situation éducative, à l’insu des acteurs en présence. C’est à partir du risque qu’elle repère, pour le travailleur social, dans le fait d’occuper la place de l’Autre qui donne que Jeanne Lafont propose de s’appuyer, entre autres, sur deux points de bornage :

- la possibilité d’une fin dans l’intervention.

- l’élaboration autour de la plainte de l’enfant.

Il faudra bien que cela ait une fin, nous entendons-nous dire parfois alors que nous devons faire face à la demande d'une prise en charge sans limite de certains jeunes. Parfois la loi vient à notre secours et prononce, à la date de la majorité, la fin de l’intervention. Ce faisant ce qui est évité est cette possibilité de dire la fin et donc l’ouverture vers un autre lieu d’investissement. La sanction de la majorité qui vient seule faire coupure laisse souvent bien désemparés les jeunes en mal d'une réelle confrontation en mots avec l’issue inévitable. Parfois tout est fait pour éviter cette question de la fin de la prise en charge et les exemples existent de ces adoptions d’enfants par des professionnels chargés en première instance d’en assurer la garde.

Au sujet de la plainte, conçue par Jeanne Lafont comme “ premier pas nécessaire, pour une relation transférentielle et une élaboration nécessaire qui s’ouvrira sur une issue ”, il est aisément repérable que le risque est ici d’affronter la plainte souvent involontairement constituée. Il y a un malaise à élaborer un commencement de réponse au lieu de cette plainte vécue comme vraie du coté de l’enfant et fausse du coté de l’adulte. Mais surtout il y a un risque non négligeable à ce que, assis sur le socle du bien de l’enfant, d’aucuns trouvent, à cet endroit, toute justification à leur remise en cause de ces lieux de prise en charge si maladroits à éradiquer la misère du monde.

Il y a un risque en éducation parce que la position éducative s’inscrit dans le paradoxe même de ce qui la motive : le désir de réparation ! Et l’enfant n’est pas avare, dans sa relation avec l’adulte, d’alimenter sa plainte et sa demande. Tout comme le désir – nous avons convenu d’y revenir – la plainte circule et n’a pas d’objets en dehors de ceux qu’elle choisit pour se dire. L’enfant dans la plainte traverse son fantasme, osions nous avancer; et l’adulte, qui répond en acte à la plainte, pris dans le fantasme de l’enfant, favorise son passage à l’acte. Le risque de ne pas répondre recouvre un véritable enjeu éducatif. C’est une façon de travailler (ou de laisser les choses se travailler) que d’abandonner l’enfant en le renvoyant à ses questions au lieu de se précipiter sur le premier pas de sa demande.

Cet enfant qui nous est confié pour son bien comme nous l’avons déjà évoqué, avons-nous sur le plan éthique d’autre choix que de l’abandonner à son sort ? Le latin sors, sortis donne sort , décision par le hasard , mais aussi, sorte , genre, espèce, catégorie d’êtres ou de choses . Abandonné à son « sors » pourrait être entendu comme abandonné au hasard de son genre (masculin, féminin) et de son espèce (sa lignée), lieu et creuset de sa position de sujet. C’est du lieu de cet abandon qu’une personne prise en charge pourra, désencombrée de notre désir, y retrouver le sien.

La responsabilité du sujet

réunion du mardi 19 décembre 2000

“ En quoi le destin du désir est de rater . Pour un oui, pour un non. Avant, pendant, après. Il rate d’être atteint. Du moment qu’il rate… Telle est sa fonction.” Pierre Rey

“ Eduquer requiert un effort et un seul, celui qui consiste à se tenir aussi près que possible de sa castration. Il n’est pas sans une certaine souffrance. La joie qui en résulte arrive comme de surcroît .” Daniel Roquefort

Nous n'étions guère nombreux ce 19 décembre 2000 à braver le froid de cet hiver à peine naissant pour commencer à se colleter avec la question du désir. Encore habités par l’intervention de Jeanne Lafont et dotés de ses annotations sur notre première synthèse, nous avons interrogé ces positions de protection qui, dans l’intervention éducative, peuvent aboutir à priver le sujet de la reconnaissance de la part qu’il met en jeu dans ce qui lui arrive.

Soutenir dans l’échange avec un adolescent que, dans l’histoire qu’il nous raconte, du 1% qui le concerne, il est responsable à 100%, peut être une autre façon de reprendre l’affirmation de Lacan pour qui “ de notre position de sujet, nous sommes tous responsables .” Justement, lorsque que Jeanne Lafont affirme “ qu’il s’agit de leur apprendre à vivre et non de leur faciliter la vie ”, elle ouvre à ces positions où l’interdiction vient s’adresser au plus près du sujet. Ainsi pour cet enfant dont il était question le matin même, que les membres de l’équipe d’encadrement cherchaient à protéger d’une situation de menace et de racket dont il se disait victime. Qui s’adresse à lui pour dire qu’il est interdit de se laisser maltraiter, donc de se faire du mal par personne interposée? Quelle parole vient à la rencontre du lieu où il est seul concerné ? Le plus souvent, en lieu et place de cette parole d’interdiction à l’endroit où il est engagé -inconsciemment bien sûr – ce qui est prononcé est une protection qui maintient enfant et intervenant du côté de l’infantile par le truchement d’un discours sur les interdictions qui concernent les autres car il n’est pas engagé, lui, dans le fait de maltraiter. En clair ce qui est dit à l’enfant maltraité est qu’il est interdit de maltraiter alors même qu'il n'est pas acteur de sa maltraitance et que l'interdiction sur ce point ne le concerne pas directement.

Pour ce jeune garçon, victime de graves sévices dans l’enfance, de quelle répétition est-il question ? L’en dégager passerait sans doute a minima par la reconnaissance de ce qui peut être pour lui une jouissance (aussi scandaleux cela puisse-t-il paraître). Et cette reconnaissance passe par une parole, non par une protection aussi gorgée de bonnes intentions soit-elle. Que cette parole puisse être appelée parole de coupure nous ramène à nouveau à la castration et à cette phrase de Lacan cité par Daniel Roquefort : “ Il faut que la jouissance soit refusée pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir .” Comme si, finalement il nous fallait composer (est-ce bien le mot ?) avec cette description reprise par Joël Dor dans son introduction à la lecture de Jacques Lacan : “ […] Ils satisfont quelque chose qui va sans doute à l’encontre de ce dont ils pourraient se satisfaire, ou peut être mieux, ils satisfont à quelque chose. Ils ne se contentent pas de leur état, mais quand même, en étant dans cet état si peu contentatif, ils se contentent. Toute la question est de savoir qu’est-ce que c’est que ce se qui est là contenté .”

Quand Jeanne Lafont rappelle que s’il existe des interdits fondamentaux c’est que, dans le fantasme , à un moment ou à un autre de la vie de chacun, il est fait le projet inconscient de passer outre. Il en est ainsi de l’interdit de l’inceste, du meurtre et du suicide. Autre exemple donc, mais peut-être même question que celle posée par cette jeune fille accompagnée conjointement par le Service éducatif auprès du tribunal et le Centre éducatif l'Accueil . Pour mémoire elle avait dénoncé, tardivement, des relations sexuelles de son frère avec elle. Il était âgé de 6 ans de plus qu’elle. Signalement, placement de la fille et poursuite du frère en correctionnelle… Qui a pu dire à cette adolescente, multipliant quelques années après les mises en danger sur le plan sexuel qu’il lui était interdit de coucher avec son frère ? Sur qui a-t-elle pu compter pour que quelque chose lui soit dit à cet endroit, alors que tant de bienveillance compatissante (à quoi d’ailleurs) l’entourait ? Affirmer qu’il était peut-être nécessaire de dire à cette jeune fille qu’il est interdit de se faire “ incester ” par son frère risque de paraître, dans ces temps de victimologie galopante, bien incongru. Mais nous pouvons aussi nous interroger sur la dimension “ incestuelle ” de ces positions professionnelles où la mise en avant d'une identité de victime est privilégiée au détriment d'une tentative de rencontre avec le sujet.


Un espace articulé au risque et à la responsabilité : le Saes

Note complémentaire aux deux synthèses précédentes

Le Service d'accompagnement éducatif et social ( Saes ) est un service d'un centre éducatif situé à Besançon, habilité au titre de la loi du 4 juin 1970 (articles 375 et suivant du Code civil), en date du 24 octobre 1991, au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 (décret 76-1073 du 22 novembre 1976), en date du 24 octobre 1991 et au titre de la convention enfance-famille (Conseil général du Doubs) en date du 8 mars 1994. Sa capacité d’accueil est de 10 places, garçons et filles. Quatre éducateurs spécialisés (3 ½ ETP) composent l'équipe.

Le Service d’accompagnement éducatif et social a été créé en 1988 afin de recevoir en hébergement individuel des jeunes de 14 à 18/21 ans particulièrement en difficulté au regard de leur parcours institutionnel. Plus que tout autre ces adolescents ou jeunes adultes provoquent le sentiment qu’ils mériteraient une prise en charge éducative globale, continue et renforcée. Mais l’expérience montre que les troubles qu’ils manifestent, d’une part présentent des risques d’entraînement pour la majorité des jeunes accueillis par les établissements du type des centres éducatifs en foyer et, d’autre part ne supportent pas un cadre ressenti par eux trop contraignant.

Constitué pour assurer un accompagnement éducatif souple, le Service d’accompagnement éducatif et social est par essence un des maillons d’un réseau composé de réponses éducatives, sociales, juridiques et thérapeutiques. Plutôt que de laisser des jeunes en errance, sans réponses éducatives, nous avons préféré aller à leur rencontre pour poser, à l’endroit même de leur difficulté, le cadre propice à une rencontre. Cela le temps nécessaire à ce qu’ils puissent bénéficier d’un accompagnement plus traditionnel. Ces jeunes ont une histoire personnelle et institutionnelle qui à bien des égards a pu leur donner le sentiment qu’ils ont vieilli bien avant que d’être adultes.

Le Service d’accompagnement éducatif et social vise à réduire cet écart en les accueillant là où ils se trouvent dans leur parcours (fut-ce dans le squat, l’errance, la toxicomanie, la prostitution etc.)

Pour étayer ce travail particulier, il faut revenir au fondement même de l’acte éducatif qui se repère non pas comme produit par l’éducateur mais qui se produit dans la rencontre de chaque jeune avec le lieu où il est engagé, sachant que cette rencontre n’est possible que parce qu’un cadre est tenu.

I – Le profil des jeunes concernés

Il convient de se rappeler que le Service d’accompagnement éducatif et social trouve son origine dans la préoccupation de penser des réponses pour des jeunes connus pour avoir mis en difficulté, et le plus souvent en échec, les prises en charge éducatives plus classiques.

L’écart avec les interventions auxquelles le secteur éducatif est habitué tient au fait qu’il ne s’agit pas d’un service de suite, mais d’ un dispositif d’apprentissage de la vie .

Le Service de suite est un dispositif dont le but est de fournir à des jeunes, bien adaptés et plus ou moins “compliants”, les moyens de parfaire leur autonomie. Ces formules sont généralement mises en place dans la continuité des séjours en internat pour des jeunes perçus comme capables . C’est à la fois une récompense et la reconnaissance d’un comportement autonome.

Le Service d’accompagnement éducatif et social est établi sur une conception que l’on pourrait considérer comme diamétralement opposée bien que les modalités pratiques présentent quelques trompeuses similitudes. Là où ce premier présuppose la responsabilité des jeunes, le Saes entérine leur irresponsabilité. Dans les faits, celle-ci est patente même si elle n’est pas toujours repérée comme telle. Ce qui caractérise les jeunes accueillis au Saes est leur propension à utiliser les aides qui leur sont proposées, dans le domaine éducatif ou social, comme autant d’objets à persécuter. En institution, ils sont souvent vécus comme ingérables, provoquant dans les services des sentiments de persécution. “Il (elle) est insupportable”, “en fait voir à tout le monde”, “mobilise l’ensemble de l’équipe”, etc.

Les structures se retrouvent placées en limite de compétence et sont vite conduites à ne plus parler du jeune concerné qu’en terme de comportement où dominent les reproches devant les insultes et menaces qu’ils profèrent, leurs transgressions des règles, leurs fugues, etc. Face à l’adulte, sensé les accompagner, il n’est pas rare qu’ils développent des modes de relation où dominent la récrimination, l’opposition et la dénégation et plus simplement la fuite ou la violence. Rien n’est jamais assez bon ni assez bien pour ces jeunes parfois longuement gavés de bonnes intentions éducatives par le passé. Alors que certains ont mobilisé des équipes entières de jour comme de nuit pendant de longues périodes, leur demandant de supporter l’insupportable, ils exigent de surcroît le : “ la Ddass peut payer ” pouvons-nous entendre encore et ce est inflationniste. C’est dans ce contexte où les institutions sont amenées à tout supporter que certains jeunes font déplacer les adultes au gré de leur besoin, de nuit s’il le faut parce que, ils le savent, “ on ne va quand même pas laisser un mineur passer la nuit dehors ”.

En quelque sorte les adultes n’ont pas le droit de les laisser dehors quand bien même ces jeunes s’arrogent le droit de faire tout ce que bon leur semble et qu’ils n’en sont pas rassurés pour autant. Où se situe alors leur responsabilité dans le sens premier du terme, c’est-à-dire le lieu d’où ils doivent répondre de leur position de sujet de leur histoire ?

II – Les points de responsabilité et la réalité

Considérant que chaque jeune peut reconnaître une part, aussi infime soit-elle, de responsabilité dans ce qui lui arrive, les éducateurs du Saes vont travailler à ce que cette part soit pleinement rencontrée. C’est le sens de cette affirmation qui veut que du 1% qui les concerne, ils deviennent responsables à 100% et c’est dans ce sens que nous pouvons parler de points de responsabilité comme autant de lieux de confrontation où l’intervention éducative va permettre de pointer que quelque chose est produit par le sujet . Cela se réfère à l’endroit précis où le jeune va, de manière insistante, mettre en avant la responsabilité d’autrui. S'il est en retard c’est parce que le bus, le réveil, les embouteillages, le mal de dos, de tête ou tout autre motif, est présenté comme justification à son retard, celui qu’il doit apprendre à penser comme lui appartenant. C’est par le biais d’une multitude d’incidents répétitifs que se saisissent les points de fuite du sujet et que se définissent dans le quotidien de l’accompagnement les lieux où vont se jouer les confrontations éducatives.

III – Apprendre à vivre

Lors d’une intervention au Centre éducatif l’Accueil, Jeanne Lafont , psychanalyste et praticienne en lieu d’accueil, affirmait en parlant des jeunes qu’elle prend en charge : “ on leur apprend à vivre, on ne leur facilite pas l’existence .” Cet apprentissage de la vie se ponctue de faire fonctionner le fait que, quand ils ne peuvent pas, c’est bien d’eux dont il s’agit. Cela est très violent si l’on veut bien y regarder de près et il faut “ tenir le malheur ” soutenait-elle. Pour un jeune qui passe son temps à faire croire que ses problèmes ce sont les nôtres, la confrontation à cette position ne va pas de soi.

Dans le concret de l’action cela se traduit par une pratique éducative qui privilège la conséquence naturelle des actes posés. Le jeune qui doit récupérer les clefs de son studio à 10 h le lundi et se présente en fait à 19 h risque bien d’être obligé de trouver ses propres solutions pour dormir. Celui qui loupe un, puis deux rendez-vous peut trouver le soir la porte close (à ce sujet il faut préciser que les studios sont équipés de deux verrous mais le jeune ne détient la clef que d’un seul). Dans un cadre constitué par la vie ordinaire, il s’agit avant tout de confronter le jeune à ses prétentions et de le mettre en face de ses aptitudes à gérer son existence.

IV – La position éducative

Ce que perçoivent assez vite les jeunes, c’est que cette intervention s’inscrit dans la notion du “ souci” cher à Jeanne Lafont . Considérant avec elle “ qu’il n’y a pas d’enfant qui puisse grandir sans le souci d’un autre ”, le Service d’accompagnement éducatif et social soutient cette conviction, par un travail constant d’élaboration du discours dans lequel un jeune peut trouver sa place. Il est frappant de voir tel ou telle, en grande difficulté relationnelle et rétif–ve à toute prise en charge, téléphoner au service, parfois plusieurs fois par jour pour donner de ses nouvelles ou passer à l’improviste sans mobile apparent.

Ce qui opère c’est ce souci , fondé sur une relation stable malgré les aléas de la relation. Pour exemple, cette jeune amenée au Centre éducatif l'Accueil avec les menottes et qui avait déjà frappé plusieurs directeurs de foyers et brisé à deux reprises une vitrine de bibliothèque dans le bureau des éducateurs du Saes , a pu trouver, dans le maintien de l’accompagnement, l’espace d’une pacification et l’appui à de nouveaux projets.

V – L’acceptation du risque comme base de l’éducation de jeunes en grande difficulté

Il n’existe pas de pratique éducative sans risque puisque, pour reprendre notre point de départ, l’acte en lui-même n’est pas produit par l’éducateur mais survient au détour de l’accompagnement, étant reconnu que personne n’en a la maîtrise.

Au Service d’accompagnement éducatif et social , il nous faut tenir la plainte et ne pas y répondre en la bouchant avec du bien ou du bon . Or, comme nous le rappelions dans un groupe de travail, ce risque de ne pas répondre recouvre un véritable enjeu éducatif. C’est une façon de travailler (ou de laisser les choses se travailler) que d’abandonner l’enfant en le renvoyant à ses questions au lieu de se précipiter sur le premier pas de sa demande.

Décliner l’ordonnance de placement en terme de substitution serait redoubler du côté maternel et éviter l’inconfort d’une parole articulée au manque. Maintenir là l’intervention du juge du côté symbolique et une façon de reconnaître que l’action du service est articulée à une décision qui produit de la loi et qu’il serait inopérant de vouloir, dans la réalité, opérer une quelconque réparation.

Adossés à la décision du Juge, avons-nous sur le plan éthique d’autres choix que d’abandonner à son sort cet enfant qui nous est confié ? Abandonné à son sort étant entendu comme abandonné au hasard de son genre (masculin, féminin) et de son espèce (sa lignée), lieu et creuset de sa position de sujet 1 . En faisant appel à sa responsabilité et tout en maintenant une grande proximité dans l’accompagnement, c’est du lieu de cet abandon qu’un jeune pris en charge au Saes pourra, en partie “ désencombré ” de notre désir, y retrouver le sien.

Un groupe de travail ?

r éunion du mardi 23 janvier 2001

“ Il ne saurait y avoir d’acte, hors d’un champ si complètement articulé [par le langage] que la loi ne s’y situe. Il n’y a pas d’autre acte qui se réfère aux effets de cette articulation et en comporte toute la problématique […] ” Jacques Lacan , L'envers de la psychanalyse , Le Seuil .

“ Ce que j’appelle céder sur son désir s’accompagne toujours dans la vie du sujet – vous l’observerez dans chaque cas, notez-en la dimension – de quelques trahisons. ” Jacques Lacan , L’éthique de la psychanalyse.

Pourquoi continuer ce travail et convier régulièrement ceux qui se sont engagés à ne pas lâcher l’esquif ? Ceux et celles qui étaient présents ce 23 janvier ont tenté d’en dire quelque chose :

Parce que, récemment encore, il lui a été impossible de sortir d’une synthèse sans avoir le sentiment que, en la dépeçant, on s’était payé sur la bête. Parce que cette fois-là, il s’en est fallu d’un cheveu qu’elle fasse sortir tout le monde, sauf deux ou trois qui seraient restés, afin que se recompose un espace où la parole, sa parole, aurait eu une chance de pouvoir être tenue au lieu d’être retenue.

Parce qu’à défaut d’y être pleinement engagée, dans cette parole, elle sent bien le risque qui plane de repartir comme on est venu avec toujours dans la tête, le cœur, au ventre et aux tripes, l’obscur sentiment de "tengenter" le point vif de ce qui fait question pour elle dans l’accompagnement de ce jeune-là.

A propos de synthèse il faudrait pouvoir se demander comme le fait Daniel Roquefort , rappelons-nous, “ A quoi sert-il de réfléchir à longueur de temps sur le bien de l’autre, si ce n’est pour éviter cette question : pourquoi s’imaginer en savoir quelque chose ? ”

Quelle est donc la fonction de cette machine à produire du plein si ce n’est d’éviter le manque (encore lui) ? Ce manque qui ne peut s’offrir - une piste s’ouvre pour cette collègue qui proposait d’apporter le manque - que là où il se laisse dire, dans les hésitations et les points de souffrance où chacun se laisse embarquer

Parce qu’il ne sait pas comment il pourrait faire autrement que de provoquer la rencontre, aller au devant dans ces moments d’accueil.

Parce qu’il s’approche d’un presque silence lorsqu’il doit énoncer l’interdit et que le trop de mots, de justifications, d’explications lui semblent venir tout écraser.

Parce qu’il sait que ce silence est difficile à tenir, à maintenir, tant il faut l’arrimer au plus profond de soi-même.

Comment soutenir, face à cette tendance à mettre de l’injonction au lieu même de la rencontre, qu’il est à entendre que “ ce qui compte, c’est que la personne puisse en dire un bout de son désir, de son manque, dont elle ne sait rien, ni moi non plus, et enchâsser dans les signifiants ce qui, à travers le [symptôme] [est] une tentative d’y échapper ” 2 .

Parce que, prise dans son manque à répondre, à penser une issue de l’accompagnement, elle ferme ce soir-là l’entrée du lieu, sans même y prêter attention, involontairement , elle qui jusqu’à ce jour s’était appliquée à laisser une porte ou une fenêtre ouverte à cette jeune fugueuse.

Parce que, et elle le sait de certitude, cet acte est un effet de l’inconscient et qu’il n’y a pas dans cette fermeture la conviction d’un acte éducatif à poser mais l’autorisation à ne rien faire d’autre que de se tenir au plus près de sa castration après une longue, très longue période d’accompagnement.

Comme en résonance vient cette question de Serge Lesourd : “ Q u’est ce qui fait passer de l’agir (passage à l’acte, acting-out, symptôme) à l’acte qui est fondamentalement reconnaissance du manque, du manque de l’Autre, et de sa dimension subjective ?”. Pour en entendre quelque chose de cette affaire il faut pouvoir concevoir avec Joseph Rouzel que “ l’adulte comme l’enfant sont logés à la même enseigne dans la relation éducative, en tant que sujet de l’inconscient ”. Cela ne va pas de soi quand on repère que la prétention éducative place habituellement son intervention du côté du savoir et empêche dans le même mouvement l'interrogation de ce qui se joue dans le transfert.

Parce qu’elle perçoit que, en ne maintenant pas un espace pour penser le rapport au manque dans l’intervention, le social ouvre à tour de discours des autoroutes de « prêt-à-penser » la misère, l’exclusion et le bien de l’action. Il suffit à ce point d’accrocher les uns aux autres les outils de la ré-insertion comme des wagons, pour faire croire que le train tient la direction de l’éthique et ceci sans autres soucis des voyageurs…

Maintenir un espace pour la pensée serait tenir la position comme le dit Joseph Rouzel qui précise : “ Tenir la position, comme on dirait en langage militaire, c’est un travail actif pour que certains lieux de créativité, lieux de " repos ", de jachère, de médiation, soient maintenus coûte que coûte

Parce que la parole, parce que le manque, l’éthique, le silence, le désir… parce que là où il faut tenir, il n’est pas humain de s’y maintenir trop seul ou seule… quand bien même nous y restons seuls ou seules… Parce qu’il s’agit de créer des lieux de résistance (ce n’est pas très psychanalytique !), ou plus exactement des espaces de déprise

Le temps de l’envie

réunion du mardi 27 février 2001

“ Il n’y a pas d’autre traumatisme de la naissance que de naître comme désiré […] ” Jacques Lacan , Dissolution .

“ La dimension du manque. Ce n’est qu’au prix d’en faire la preuve dans leur être même que des professionnels peuvent la mettre à l’œuvre dans la relation éducative. ” Joseph Rouzel

A s’essayer, ce 27 février 2001, à reprendre le chapitre Psychanalyse et éducation du livre de Joseph Rouzel Parole d’éduc. , nous nous sommes arrêtés sur l’écart entre le temps de l’envie et le temps du désir . Un abîme que cet espace dans lequel nous aurions pu, à vouloir le réduire, disparaître à notre tour. S’astreindre à parler de notre rencontre avec ces jeunes, que nous sentons arrêtés dans ce temps de l’envie , nous aura permis de cheminer encore un peu.

L'un d'entre nous reprend une phrase extraite de ce chapitre : “ S’il en restait à ce stade, l’être humain serait aliéné à l’image qu’il a des autres et qu’il a de lui ” Et tous de s'interroger, de laisser se déployer la parole de chacun en ce lieu de l’entre deux ou chacun se sent pris, serré, avec ceux qu’il accompagne.

Ce que nous percevons assez vite, avec les jeunes adolescents, c’est que du fait de l’impossibilité de s’y engager sans risque, dans ce temps du désir, il se produit un arrêt . De le repérer chez ceux dont nous avons charge d’accompagnement n’autorise pas à penser qu’il ne concerne qu’eux. D’être ensemble pris à cet endroit explique sans doute qu’au point précis de la question “ qu’est-ce qui ce passe donc pour chacun en ce lieu ? ”, il faille y mettre de la connaissance. TOUT SAVOIR sur ceux-là qui nous obligent à la rencontre occupe bien des réunions de synthèse et sert de leitmotiv à bien des revendications pseudo-professionnelles. Il y a visiblement comme un espace à réduire, un lieu à boucher qui, de le laisser vide, renverrait chacun à sa propre question, à ses propres trahisons pour reprendre la formule de Lacan

Arrêt sur image pour cette jeune fille prise dans l’envie de se détruire, à l’orée du désir de vivre ? Elle a 16 ans à peine et, faisant tentative de suicide sur tentative de suicide, embarque médecins, soignants, parents et éducateurs doucement et sûrement du côté de la mort, de sa mort annoncée, comme une hypothèse qui s’imposerait. Comme de cette fin prochaine tout le monde finit par être sûr et que cette disparition est irreprésentable, elle finit par tarir la pensée et obliger chacun à composer avec sa culpabilité de se vouloir (ou de la vouloir) ailleurs, assez loin pour ne pas avoir à être présent lorsqu’elle devra mourir. Et elle de se couper le cou, les bras, les poignets et d’avaler des éclats de verre qui ne sont autres que des éclats de miroir. Y a-t-il “ là de quoi faire fantasmer les lacaniens ” comme le dira un médecin psychiatre ? Ce qui est certain, c’est que quelque temps après, cette même jeune fille se précipitera de la fenêtre de sa chambre pour se fracturer les deux jambes et qu’il y a au moins de quoi se mettre au travail avec cette affaire de miroir. Pouvons-nous concevoir, avec Joseph Rouzel que “ dans ce discours souterrain, le corps est pris en otage par le langage, tout en étant à la fois le lieu et l’instrument ” ?

Ce qui est frappant dans l’histoire de cette jeune fille adoptée à l’âge de trois mois est la propre histoire, terrible, de la mère. Celle-ci a été elle-même adoptée à l’age de sept ans et rebaptisée du nom de la jeune fille morte en camp de concentration qu’elle devait remplacer dans le cœur des parents adoptifs. De quel miroir d’histoire, d’inscription, de nomination et de désir est-il ici question ? On admet aujourd’hui que les parents causent l’enfant… Cette causalité n’est pas seulement, ni forcément, le fait de la famille biologique ; la parole parentale est affaire de désir affirme Colette Laterrasse ... Et puis il y a cette demande de ne pas voir ses parents alors qu’elle est allongée sur une civière, entourée des divers intervenants des services d’urgence. Il y a ce qui se montre à acte déployé , cette enfant qui se coupe, s’éclate, s’explose sans cris, avec une rare tolérance à la douleur, avec insistance et qui dit qu’elle recommencera comme s’il fallait que tous entendent l’impératif de sa quête.

Pouvons-nous entendre dans ces conditions qu’il n’est pas forcément question de mourir (même si le risque est bien présent) ni même de disparaître mais que vient sans doute s’affirmer la nécessité d’un retour à ce temps d’avant le miroir ? Parlant du stade du miroir, Joseph Rouzel précise : “ Nous pourrions voir comment, au stade du miroir, l’enfant réunit en une image les sensations morcelées de son corps, structure pour ainsi dire l’éclatement des zones érogènes, tout en percevant qu’un nom qui est sien vient faire lien en les différenciant, entre ces sensations internes et cette image externe . ” De quel nom, de quelle transmission se trouve-t-elle donc lestée ?

Autre rencontre que celle de cette jeune fille d’origine asiatique, surprise en plein après-midi, enfermée dans la salle de bain, au domicile de cette collègue. Entrée à l’aide d’une clef dérobée à la propre fille des locataires des lieux, la jeune intruse avait dérobé un peu d’argent et un téléphone portable. Interventions, rencontre de la mère, questions… A celle de savoir que dit le père, la mère fait mystère et finit par confier que le père n’est pas le père de naissance et que cette adolescente ne le sait pas encore. Sa mère prévoit de lui annoncer pour ses dix-huit ans... Rideau ! Premier et dernier acte de la nomination. Que cette encore gamine refuse d’avouer son forfait, qu’elle le cache semble peccadille au regard de ce qui lui est refusé de sa propre histoire. Comment sortira-t-elle de son temps de l’envie ? Quelle parole viendra accomplir la souffrance du manque, lui fournir un sens et donner accès au symbolique qui caractérise le temps du désir ?

Soutenir le désir

réunion du mardi 27 mars 2001

“Qui ne risque rien n’est rien” – aphorisme gitan

“Ecarter la souffrance, tel est votre horizon. Ecarter la souffrance, vous tient lieu d’épopée” - Yasmina Reza

Le désir ! Et si l’éducation n’était finalement que témoignage de la manière dont chacun d’entre nous, adultes, se sort de cette affaire… Est-ce le fait du hasard si “ qui ne risque rien n’est rien ” était devenu par effet de confusion “ qui ne désire rien n’est rien ” lorsque je décidais d’en reprendre la formulation en exergue de ce compte rendu ?

Ce qui étonne, dans le secteur éducatif et social, est que tout semble fait pour que ça fonctionne, et que du coup, ça bouche. La question du désir reste comme suspendue, recouverte. A ce titre, la réunion d’équipe peut être saisie comme lieu symptomatique de cet écrasement et ceci dans une double visée. Il serait question d’une part d’éviter toute confrontation avec ce qui se joue de l’ordre du désir pour les jeunes adolescents et d’autre part de composer pour chacun une zone tampon à même de permettre une distanciation radicale avec ce qui le nommerait désirant, donc seul, et si proche de ce qui travaille chaque jeune rencontré. Précisons que, par réunion d’équipe, il faut se représenter tous ces temps consacrés à faire et refaire le tour des jeunes , l’expression par elle-même illustrant combien il s’agit d’éviter la rencontre, ou ces temps qui se constituent en réunions dites de synthèse, à la recherche d’une parole collective qui puisse faire loi dans l’imaginaire de chacun. Dans un cas comme dans l’autre une fonction de bouchage opérerait qui viserait à éviter au professionnel l’insupportable d’un espace laissé vide. Il est probable que la confrontation avec l’aspect pulsionnel des “agirs” adolescents vienne réactiver, comme le soutien Pierre Legendre à propos des criminels, notre proximité avec ces adolescents sur le plan le plus archaïque. Il est tout aussi envisageable que ce que vient interroger, du côté du désir , la provocation adolescente impose aux adultes d’être quelque peu au clair avec cette question.

La confrontation avec l’aspect pulsionnel

Quel est donc cet autre si proche dont les professionnels parlent à loisir et font le tour ? Qui parle lorsqu’il est question de déployer un savoir sur l’autre ? Plus profondément, quelle fascination se joue derrière chaque commentaire, chaque emportement, chaque propos scandalisé ?

Dans L’homme en meurtrier , Pierre Legendre s’interroge à propos du procès Lortie, ce jeune caporal de l’armée canadienne qui avait fait irruption dans l’Assemblée nationale du Québec, avec l’intention de tuer le gouvernement, faisant au passage trois morts et huit blessés : “ Lorsque j’ai eu à m’intéresser au procès engagé contre Lortie, j’ai ouvert les cahiers de Dostoïevski et j’ai lu : il est possible de traverser une rivière sur une poutre, non sur un copeau .

Alors j’ai pensé : ce qui me fascine, c’est bien cela, une catastrophe, regarder la catastrophe.

J’ai regardé Lortie comme on regarde un naufragé après qu’il s’est noyé. On regarde avec compassion un humain qui n’est plus ; mais aussi, dans la peur et la furtive satisfaction de n’être pas celui-là, on se compte parmi les vivants.

Il y a lui et moi, lui l’assassin et nous les innocents, ceux qui traversent sur la poutre, sans catastrophe. Je me demande : qu’est-ce qui nous lie, qu’est-ce qui me lie à lui ? Pourquoi la société entière – la société des innocents–, met-elle tant de passion à scruter l’assassin et à soupeser son crime, à mettre en scène, dans ce théâtre qu’est la justice, la catastrophe de quelqu’un ?

Parce que, à chaque crime, à chaque meurtre, nous sommes touchés au plus intime, au plus secret, au plus obscur de nous-mêmes : un bref instant, nous savons que nous pourrions être celui-là, le naufragé, un meurtrier.

A chaque crime, à chaque meurtre commis, il nous faut réapprendre l’interdit de tuer .”

En poursuivant nous pouvons nous demander si ce n’est pas l’interdit tout court qu’il nous faut réapprendre à chaque crime commis ? Celui du meurtre comme celui de l’inceste, celui du mal fait aux autres comme à soi-même et toutes leurs déclinaisons. Dans son intervention au Centre éducatif l’Accueil, au mois de décembre 2000, Jeanne Lafont avait rappelé cette évidence : pourquoi donc est-il interdit de tuer, coucher avec sa mère… sinon parce que, sur le plan pulsionnel, tout être humain en fait le projet inconscient à un moment de sa construction et que nous en conservons comme une forme de mémoire.

Il y a dans telle ou telle occasion quelque chose qui viendrait faire rappel pour chacun de nous. Un point de rencontre dont la fonction déstabilisante pourrait se repérer à nos propos : pourquoi donc en ce lieu particulier, être à ce point bouleversé (renversé) ? Du côté de l’adulte ce qui est interrogé est ce lieu ou il est lui-même concerné. A prendre le risque de se dire, cette part d’ombre peut être comme incisée afin qu’elle ne recouvre pas tout le champ des signifiants et que place soit laissée aux retrouvailles avec son désir. Reste à savoir si l’équipe est en capacité de soutenir le risque inhérent à toute “tentative de dire”.

La provocation adolescente

Elle fugue, cambriole le lieu d’accueil, accuse l’adulte qui en a la responsabilité de l’envoyer se faire violer, etc. Pour cette jeune fille, ce qui surgit est la mise en scène du risque et ce qui demande probablement à être entendu est le travail du désir à l’œuvre chez cette adolescente, ce que permettra de repérer sa mère parlant de ses propres séjours dans les locaux de la police.

Ce qui est troublant en ce cas, comme à chaque fois que quelque chose se trame dans le passage à l’acte, est cette préoccupation adulte pour que le jeune ne soit pas pris dans le risque. Il y a comme une obligation qui finit par interroger sur l'identité de la personne à protéger. Là où l’adolescent–e vient interroger l’enjeu de son propre rapport au désir, l’adulte est d’autant plus déstabilisé que ce lieu est souvent pour lui celui de multiples compromis. Il y a donc bien danger dans cette confrontation et comme l’identification projective peut fonctionner à tous les étages, le danger est plaqué du côté de l’enfant qui devient objet de protection, CQFD. En mettant en avant la notion de danger, l’adulte recouvre sa propre mise en risque. En d’autres termes nous osons affirmer que ce que craint l’adulte n’est pas tant le danger que représenterait telle ou telle situation pour un jeune que ce que la prise de risque vient interroger du côté du désir. Partant ce qui se joue pour l’enfant, derrière la mise en danger, devient inaudible.

La notion de jeune en danger n’est-elle pas, en matière d’accompagnement des adolescents, ni plus, ni moins, que le masque derrière lequel tente de se nier l’effroi que provoque son propre rapport au désir et à la mort ? En confondant protection et surveillance, l’adulte évite la seule obligation qui devrait être la sienne qui est de se tenir au plus près de sa castration, comme l’affirme Daniel Roquefort . C’est à ce seul prix que les jeunes pourront être “ tenu au mental ”, à charge pour l'adulte de ne pas reculer devant cette confrontation. Il ne faut pas mésestimer le fait que l'impossible auquel renvoie la question du manque et du désir est le lieu de toutes les souffrances et cela fatigue, terriblement.

La réunion d’équipe

En lieu et place de la recherche d’une position moyenne, il devrait être de la responsabilité de tout groupe de professionnels de soutenir la solitude de chacun et le prix qu’il paye dans cette confrontation. On pourrait dire qu’il n'existe pas de position d'équipe comme Lacan soutenait qu'il n'y a pas de rapport sexuel . La position d'équipe n'est le plus souvent que le résultat de renoncements successifs face auxquels l'on se dit que personne, et surtout pas nous , ne vaut mieux que cette moyenne des craintes et avis individuels.

Il y a par contre des tentatives d'engagements personnels dans le travail qu'il convient de soutenir parce que la limite que le sujet énonce produit de la loi à partir du moment où UN, dans un ensemble, peut prendre le risque de répondre de sa position, donc d'être responsable. Personne n’est autorisé à se mettre dans cette situation où il laisserait entendre que les collègues avec lesquels il travaille seraient en droit de re-dire après son dire. Le projet évoqué par une éducatrice qui consistait à emmener un jeune qu'elle accompagnait à une conférence, n'a pas à être discuté par l'équipe en terme de bien où de mal. Tout juste l'acteur peut-il être encouragé à en dire un peu plus, non pas parce qu'il serait question de contester ce qui fait pour lui position mais dans la seule et unique visée de soutenir SA question.

C’est sans doute à ce prix qu’il est possible de sortir du fantasme selon lequel existeraient des positions d’équipe , voire pire encore, des décisions d’équipe , ladite équipe étant, en position de “grand Autre”, à même de faire la Loi. S'accrocher à ce fantasme ferait oublier un peu vite que pour un sujet la loi ne s’énonce que dans la rencontre avec ce UN, celui qu’il s’agit de soutenir justement, qui prend le risque d’exister au lieu précis de son manque, qui n’a rien à ajouter à l’énoncé de sa limite et surtout pas à s’en justifier.

Pour tout à chacun, se tenir au plus près de sa castration ne va pas sans une certaine souffrance et cela n'est pas sans danger quand il faut le soutenir dans une équipe. Nous pouvons nous représenter le danger plus grand encore qui guette le jeune. En effet à ne pas tenir la position du manque, ce qui revient en force dans les équipes est toujours du côté du bien de l’enfant et de sa protection . L’adolescent se trouve ainsi appelé sur le registre le plus infantile de sa position et dédouané d’avoir à répondre de sa responsabilité. Partant, il n’est pas soutenu dans ce qui se joue, dans sa mise en danger volontaire, du coté de son désir… Tout bonnement.

BLIOGRAPHIE

Aichhorn August , Jeunes en souffrance - Bern 1951 – réédition les éditions du champ social, Lecques (30) - 2000 - 206p

Dor Joël , Introduction à la lecture de Lacan – L’inconscient structuré comme un langage , 1985 Paris : Editions Denoël, 265 p.

Lafont Jeanne , Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse , 1994 Paris : Editions Point hors ligne, 214 p.

Lebrun Jean Pierre , Un monde sans limite , 1997 Paris : Edition érès, 245 p.

Legendre Pierre , La fabrique de l’homme occidental , 1996 Paris : Editions Arte, 55p.

Lesourd Serge , l’agir adolescent , ERES

Rey Pierre , Le désir

Roquefort Daniel , Le rôle de l’éducateur , 1995 Paris : Editions l’Harmattan, 175 p.

Rouzel Joseph , Parole d'éduc – Educateur spécialisé au quotidien , 1995 Paris : éditions Eres, 204 p

Rouzel Joseph , L’acte éducatif – Clinique de l’éducation spécialisée , 1998 Paris : éditions Eres

1 Cf. le compte rendu de la réunion du 14 novembre 2000 : Le risque .

2 Joseph Rouzel La jachère ou l'espace du dire in Parole d'éduc-

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