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Evaluer l’action éducative ?

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Jean-Marie Vauchez

jeudi 09 octobre 2003

Nous n’aimons pas l’évaluation, lorsque nous sommes éducateurs, sans doute l'apprécions-nous moins encore. Pourtant un jour, pierre Kamerer (1) a déclaré « Etant donné le prix de journée d’un CER (environ 350 Euros), il faudra bien se poser un jour la question de leur véritable rentabilité ! »

Cet angle assez cru renvoie inévitablement à celui de l’évaluation. Or, comme le prisme diffracte la lumière, cette interrogation éclate rapidement en une myriade de sous questions telles que : évaluer qui ? pour qui ? évaluer comment ? pourquoi ?... En arrière plan se dissimule l’ombre redoutée du financeur qui guette quelque occasion de grignoter de la rentabilité et des crédits. De leur côté, les gestionnaires du social sont déjà en pointe et savent très bien mesurer le temps qu’il faut pour changer une couche dans un foyer de handicapés profond où alors repérer les plages « improductives » dans l’organisation du temps des éducateurs d’un foyer prenant en charge des jeunes délinquants. Voila sans doute un bon ensemble de raisons pour éviter à tout prix ce genre de pensées et considérer que Kamerer avait ce jour là, abusé de ce fort bon vin jurassien et perdu ses esprits.

Nous avons peur d’affronter cette question, car elle ouvre sur ce qui est l’essence même de l’action éducative ; l’humanisation de la chair. Nous n’y sommes pas préparés. Les écoles d’éducateur dispensent une formation disparate, véritable agrégat de disciplines variées sensées cerner, encercler leur véritable objet. L’histoire des différends courants ayant influencé l’éducation donne un aperçu de l’ensemble des idéologies, mais au fond, seule la pratique confronte véritablement l’éducateur à sa fonction.

Il est relativement simple de définir ce travail en se fondant sur le titre du beau livre « naissance à la vie psychique, (2)» Nous naissons, en effet, à une vie psychique après que notre mère ait accouchée. L’éducateur est celui qui aide, accompagne cette humanisation de la chair.

Les premiers éducateurs sont les parents, les adultes gravitants autour d’un enfant. C’est en effet dans cette friction avec les autres que le nourrisson trouve les nouvelles modalités d’être, permettant d’assouvir ses besoins primordiaux, tout en tenant vivant un rapport à l’autre.

La profession d’éducateur rémunéré est particulière en ce qu’elle trouve sa place en second rideau, en complément ou en surcroît, par rapport a ceux qui ont été les premiers acteurs. Se pose d’emblée la question de la légitimité. En effet, si les parents sont en quelque sorte autorisés à tenir cette place par un fait généalogique, nous tirons notre place d’une institution qui, elle-même répond à une commande sociale. Dans la perspective d’une évaluation, il est donc nécessaire de bien être au clair avec ce qui est demandé par la société. Il est bien évident que les modalités d’interventions ne sont pas comparables d’un éducateur d’AEMO judiciaire à un éducateur en CAT. Mais l’unité de la profession renvoie à un socle commun, fondement indentitaire de l’ensemble de la communauté éducative et repère permettant une évaluation.

Pour pouvoir élaborer une pensée sur cette question épineuse, il est possible de poser, à ce niveau, deux balises, deux thèmes qui restent à déplier, à savoir : ce qui en est de la commande sociale faite aux éducateurs professionnel et une réflexion sur ce qui se passe fondamentalement entre un éducateur et la personne qu’il accompagne.

La société renvoie des injonctions des plus floues aux éducateurs. Il n’est qu’a constater le véritable brouillard sémantique qui flotte autour de cette profession. Les éducateurs sont tour à tour les instituteurs, les animateurs, les profs, les pions, les médiateurs dans les citées ... Etc. Il règne une véritable confusion entre des signifiants tels que « pédagogue », « enseignant », « animateur » et « éducateur ». A croire que les journalistes les emploient de manière indifférenciés. Du reste, l’ordinateur groupe ces termes comme synonymes et il est aisé d’imaginer que l’auteur d’un article qui souhaite éviter les lourdeurs stylistique, les utilise tour à tour.

C’est à nous de refuser cette dérive en précisant ce qui se rapporte à cette fonction. Le pédagogue est-il éducateur ? Sans doute, mais indirectement. De la même manière, il arrive que l’éducateur soit soignant, mais « à l’insu de son plein gré » sans le faire véritablement exprès. Il faut lutter contre cette voie en ce qu’elle obère toute possibilité de possibilité de penser véritablement l’action éducative. Ainsi, dans un institut de rééducation, les éducateurs se sont vu reprocher par les cadres d’avoir sévit lorsqu’un ados avait démoli une porte au cour d’un passage à l’acte. Leur réaction a été estimée comme « non thérapeutique ». Eh bien tant mieux ! Les éducateurs ne soignent pas, ils éduquent !

L’expression la plus précise de ce qui est demandé par la société est, en fait, celle que délivre les textes de loi fondateur des structures éducatives. Cette foi, la précision des termes existe : « au sein de ces centres, les mineurs font l’objet des mesures de surveillances et de contrôle permettant d’assurer un suivi pédagogique et éducatif adapté à leur personnalité » (Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante art 33 sur les centres éducatifs fermés) L’éducatif est placé en finalité des structures concernées au même titre que, selon le cas, le thérapeutique, le contrôle judiciaire, mais il n’est jamais définit. Cette part éducative doit exister et une obligation de moyens existe (synthèses, projets personnalisés...). Aucune obligation de résultat n'est fixée. Le contenu est renvoyé aux acteurs.

L’institution, est donc porteuse de la charge de définir sa vision de l’éducatif. Or, nous sommes souvent confrontés à un projet d’établissement fixant des modalités d’intervention (fréquence des synthèses, livret de prise en charge personnalisée, projet personnalisé...). Sur ce qui est de l’éducatif, le plus souvent, nous ne trouvons rien. Pourtant, un point de vue est important. Ainsi, une assistante maternelle confiait son raz le bol face au changement de référent ASE : « lorsque l’enfant qui m’est confié me dit, sous forme de lapsus, « maman », untel va me mettre en garde fermement quant aux risques de dérive professionnelle de ce genre de dérapage, et un autre, quelques semaines plus tard, va me tenir le discours opposé en affirmant que l’enfant sait où il en est et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter »

Ce morcellement conduit les débats sur la cohérence dans les établissements à un nivellement vers le bas en se rabattant sur le règlement intérieur, dernier rempart que fournit l’institution pour se protéger du chaos. Cette dispersion amène également à évaluer la compétence des éducateurs à l’aune de leur respect de ce même règlement intérieur. Il y a, a cet endroit, une véritable confusion entre les moyens et les fins. Un enfant est confié à un établissement, à un service pour qu’une éducation adaptée lui soit dispensée. Les codes institutionnels ne sont que les outils construits pour qu’un tel résultat soit atteint. Seule l’absence, non pas de critères, mais de prise de position d’éducateurs sur ce sujet, légitime par le vide, le discourt des payeurs sur le travail éducatif. La responsabilité d’élaborer une vision de l’éducatif nous incombe donc entièrement

La commande sociale faite aux éducateurs est ... d’éduquer ! A nous de dire ce que nous faisons.

Un collègue confiait : « un enfant, dans mon centre refusait de parler et restait souvent en dehors du groupe. J’ai donc décidé de l’associer le plus souvent possible à la préparation des activités de manière à ce qu’il trouve plus facilement une place. Quelques semaines plus tard, ce garçon restait toujours aussi en retrait, mais il s’était attaché à ma propre personne au point de me « coller » toute la journée. ». Ce décalage entre les objectifs visés et le résultat n’est pas un accident, mais qu’il constitue un fait indissociable, consubstantiel de l’action éducative. L’expérience montre que le quotidien de l’éducateur est marqué de tâtonnements, d’hésitations et de doutes. Concrètement, l’éducateur passe le plus clair de son temps à accompagner une personne sur le chemin escarpé de la recherche de son propre désir. Sans cesse, des obstacles se dressent, principalement du fait de l’intéressé qui, la psychanalyse nous l’apprend, est le principal obstacle à la réalisation de son désir.

Le travail éducatif consiste en un soutien, un accompagnement vers la mise en relief du désir de celui qui lui est confié, tout en l’aidant à s’inscrire dans une culture. Cela passe par exemple par la recherche de stages avec des adolescents, lieux qui vont permettre de réaliser un besoin d’indépendance tout en acquérant des connaissances permettant l’accès à un diplôme. Mais cette recherche est faite de tâtonnements : carrosserie : 2 Jours, échec, ébénisterie : 1 semaine : bof, finalement ce sera pâtisserie, plus en raison d’un patron charismatique et paternaliste, comblant un besoin de référence paternelle, que d’un véritable goût pour ce métier. Pourtant, après plusieurs années cet ado devenu grand, ouvrira une pâtisserie.

L’éducateur lui-même ne sait pas bien ce qu’il fait. Il y a des quantités de manières de dire « non ». L’enfant est tout aussi sensible au ton, à la posture du corps, à la texture de la voix qu’au contenu de ce qui lui est dit. La psychanalyse nous enseigne également que dans le langage, il y a une part importante qui échappe au contrôle de celui qui parle. Ainsi, nous transmettons bien plus que nous le voudrions aux enfants et cette part insaisissable peut être en décalage avec notre propos.

L’acte éducatif est donc profondément marqué d’un insaisissable peu compatible avec une évaluation. Une dimension importante de la pratique éducative consiste à répondre de manière inadaptée à des personnes qui ne savent pas bien ce qu’elles demandent. Allez donc évaluer cela !

Il n’y a guère que dans l’illusion consistant à considérer qu’il est possible de former à sa volonté des êtres plus ou moins rétifs, où le super éducateur mène des actions destinées à redresser la partie déformée du sujet à la manière du carrossier, a ôter bosses et éraflures d’un geste sûr et son travail finit, restituer un sujet brillant comme un sou neuf. Dans ce cas, il est possible de mener une évaluation au sens gestionnaire du mot. Très souvent, la loi du 2 janvier 2002, avec son cortège de projets personnalisés, d’objectifs, de moyens négociés est interprétée dans cette direction fantasmatique.

Nous devons donc oser dire qu’évaluer le travail éducatif est un non sens. Il faut défendre cette position, l’argumenter et la soutenir de manière militante pour que ce message passe jusqu'à ceux qui financent. En effet, c’est plus par manque de débats, de prises de positions, que le point de vue du banquier prime.

Nous devons tenir cette position comme un préalable... puis constater qu’elle n’est pas entièrement satisfaisante. En effet, nous avons cerné peu à peu jusqu’ici la partie insaisissable de notre action. Le fait qu’elle procède bien souvent de l’intuition de l’instant et qu’il n’y a pas de moyens de déterminer à priori la chimie humaine et encore moins d’en prédire les effets, ne doit pas nous conduire à conclure que rien ne peut être contrôlé.

Nous sommes souvent plus ou moins effarés par la complexité de ce que nous vivons et lorsqu’il faut en rendre compte, la sidération est souvent au rendez-vous. Quel éducateur ne s’est pas sentit désarmé, lorsque sa voisine, épicière lui assène : « que ce doit être dur ce que vous faites ! moi je ne pourrais pas ! » Comment lui transmettre un peu de la réalité de ce travail sans tomber dans le banal ?

Plusieurs auteurs ont déjà avancé que l’éducation est une attitude éthique. Non pas qu’il y aurait une sorte d’éthique, au sens de morale, qui tienne lieu de discours de référence auquel se référer, mais que sa nature tient de l’éthique plus que de toute autre forme de discours. Nous en faisons l’expérience quotidiennement lorsque nous faisons des choix minuscules lors d’entretiens, de médiation ou tout simplement dans la relation que nous entretenons aux jeunes.

Un exemple basique :

Un matin, un enfant refuse de quitter son lit. Premier passage de l’éduc, sympa, presque compatissant, car le temps est au gris et la couette avenante. Deuxième passage, plus sec, c’est l’heure. Troisième passage, carrément autoritaire, faudrait tout de même pas déconner... Ce récit pourrait figurer dans presque tous les cahiers de liaison d’internats, mais il ne dit presque rien, car une bonne part n’est pas exprimée. Le dosage progressif de l’autorité est décidé par l’éducateur, c’est lui qui choisi, plus ou moins consciemment, de cette progression. L’enfant décide, lui aussi de sa résistance de manière toute aussi personnelle.

C’est un moment unique, déterminé par les intentions conscientes des deux protagonistes, et aussi par leurs histoires personnelles, leurs perceptions intimes de l’autorité, de la contrainte. Dans cette petite scène, chaque acteur joue et place sa mise, l’éducateur, par exemple, un statut à défendre, une image de lui-même vis-à-vis de l’institution, pour l’enfant, peut être, une vérification de la toute-puissance supposée des adultes, un test quant aux limites intimes de cet éducateur vis-à-vis de la violence (va-t-il en venir aux mains ?). Le groupe des autres enfants guette, dans le fond du décor, l’issue de cette petite scène dans la mesure où chaque enfant pourra confirmer ou infirmer quelque point de vue : le flemmard est-il le leader du groupe, défiant ici l’autorité d’un adulte ? est-il réellement malade ? L’éducateur doit également défendre sa réputation et conforter auprès des autres son autorité. Dans cette toile complexe d’interactions multiples, chaque protagoniste perçoit une image de l’autre, et s’en fait une représentation, qui vient encore, dans un jeu de miroir influer l’autre.

Au sein de cette complexité, nous franchissons le rubicon sans cesse dans des actes qui engagent le devenir de la relation avec la personne que nous accompagnons. C’est cette réalité que recouvre le terme d’éthique et c’est bien en cette intime instance que se trouve le coeur de notre action, dans cette prise de position, de posture dont les déterminants nous sont plus ou moins clairs mais que nous « sentons » devoir tenir. Tout le problème pour penser une évaluation est de créer les conditions pour qu’une décantation puisse s’opérer et que la relation éducative puisse apparaître clairement. En effet, si les effets ne peuvent être prédis, si toute généralisation doit être écartée, le processus unique qui s’engage entre un éducateur et la personne dont il a la charge peut être évalué, sa direction peut se préciser , les moyens peuvent se réajuster.

Il faut donc trouver des outils à même d’aider à trier, écrémer le quotidien pour que des trais signifiants s’en dégagent. Or, depuis quelques millénaires, le meilleur moyen reste encore l’écrit. Il faut passer à l’écrit le quotidien comme s’il était passé à tabac. La mise en mots de ce jeu croisé de relations complexes est en elle-même une opération de tri. Tout ne peut être écrit et seuls les axes estimés pertinents sont retenus.

Chacun a pu faire l’expérience de la grande difficulté qu’il y a d’expliquer un événement qui vient de se dérouler. Le passage par le langage oblige à structurer, à donner un fil, chronologique ou autre et d’organiser le récit selon son propre point de vue. Le fait d’écrire ce récit renforce encore la difficulté de l’exercice.

Nous pouvons comprendre les raisons de nos difficultés à écrire. C’est un travail épuisant qui mobilise toutes les capacités de notre intellect. C’est un véritable processus de construction de ce qui restait jusqu’alors dans les limbes, entre juste perçu et trop présent, où les éléments conscients sont bousculés par des données inconscientes qui frappent à la porte s’entrechoquent. De ce tissu complexe, des mots précipitent comme, dans les expériences de chimie du collège où d’un liquide sous l’action d’un autre produit, se forme un précipité.

L’intérêt de ce travail est de provoquer une élaboration de ce qui est vécu, pour que la personne dont l’éducateur a la charge puisse se l’approprier. Libre à elle, par la suite de réagir contre, de se l’approprier ou de décréter que cette réflexion est sans intérêt. De cette manière, une dialectique peut s’instaurer entre des éducateurs qui proposent des points de vues quant à ce qu’ils vivent dans le quotidien, et les personnes dont ils ont la charge qui peuvent se situer face à ces positions. Cette démarche suscite, encourage une élaboration de l’éduqué de son propre aménagement pulsionnel, elle favorise une mise à distance du quotidien, ce qui permet d’aider l’éduqué à expérimenter de nouvelles manières d’être au monde.

Ce travail délicat, fragile ne peut se dérouler sans un contenant. L’institution est le dispositif qui donne un cadre à l’action éducative. C’est elle qui doit instituer une barrière étanche entre le contenu de ce qui est évalué et le fait même que l’évaluation ait lieu. Rajouter encore des enjeux institutionnels, salariaux aux préoccupations de l’éducateur lorsqu’il doit évaluer son travail est le meilleur moyen qu’il la biaise ou qu’il la dénature. L’institution doit garantir que ce travail difficile est protégé, soutenu et encouragé. Elle doit résister à la tentation, lorsque des constats difficiles sont posés de réagir sous l’angle de la coercition et d’aider à les transformer en objets de travail précieux.

Ainsi l’éducateur reconnaissant que décidément, il n’arrive jamais à lever ce jeune, que la situation se reproduit régulièrement, qu’il vit de plus en plus un insupportable échec et qu’il a atteint sa limite ne doit pas s’entendre dire « mais si tu peux ! » mais « c’est intéressant! pourquoi ? et qu’allons nous faire ? » On pourrait imaginer que ce jeune « cherche » plus particulièrement cet éducateur, car il se sent insécurisé dans cette équipe pour des raisons intimes, disons, une formation en cours qui l’éloigne de l’équipe et affaiblit son lien à celle-ci. Plutôt que de chercher à résoudre le problème, l’institution doit ici, plutôt veiller à ce que cet isolement soit pris en compte comme donnée importante. Dès lors, il est possible d’intégrer sereinement de cette notion pour penser la relation au jeune et aborder la question sa trop grande sensibilité à la permanence des adultes.

Un autre exemple : Un éducateur confronté à une mère qui accumule les difficultés judiciaires, économique, de couple ; avec les enfants ... A chaque entretien, madame passe d’un sujet à l’autre, produisant un brouillard indistinct ou le professionnel finit par se perdre. Au cours d’un travail de mise à distance et d’écriture, un mot se précise « confusion » En nommant le désordre, il devient un objet de travail. Dès lors, il peut devenir l’une des données du problème. Au cour de l’entretien suivant , la dame, fidèle à son habitude enchaîne le viol de sa fille avec, en parallèle, sa perte d’emploi, et, en parallèle, ses problèmes de logement et, en parallèle.... Ce « en parallèle » devient insupportable à l’éducateur qui intervient et lui interdit de réutiliser cette expression. Stupeur ! explication plus ou moins floue. Toutefois, deux années plus tard, cette dame, qui a pris conscience de la manière dont elle abordait ses différents problèmes, fait souvent référence, en souriant, à cette injonction et cherche d’elle même à sérier et hiérarchiser ses difficultés pour éviter d’en faire une montagne.

De nombreux obstacles éloignent l’institution de ses fonctions de séparation et de soutien. La loi du 2 janvier 2002, citée précédemment, peut être interprétée comme une mise à égalité des acteurs. Comment écrire, dans une véritable perspective d’évaluation, ce est-à-dire de mise en mots de la relation, si un lecteur potentiel peut être les parents. Ceux-ci, par définition partiaux, ne peuvent s’inscrire dans une dynamique institutionnelle qui met en évidence, entre autre, les failles et les valorise comme objet de travail. Le propos ici n’est pas de mettre à l’écart les parents, mais de faire une distinction des genres. D’un côté, les établissements ont pour vocation à délivrer une éducation aux enfants et de l’autre les parents doivent être informés, associés à ce qui se passe pour leur enfant dans l’établissement. L’évaluation est une compétence technique des éducateurs. Les parents, lorsqu’ils signent un contrat acceptent que cette éducation soit délivrée à leur enfant. Ils ont à veiller aux conditions matérielles, à la sécurité mais le travail éducatif ne peut être entièrement restitué aux parents.

Qui demanderait à son garagiste de lui rendre compte de tous les gestes techniques qu’il pratique, de justifier de tout ! Sauf à avoir soi-même les compétences pour pouvoir tout comprendre et valider les choix de l’homme de l’art (mais alors pourquoi recourir à ses services) il n’est pas possible de juger véritablement de son travail. Il faut lui faire confiance. Les éducateurs, tout comme le garagiste, sont dépositaires de savoir et de compétences. Ils ont eux aussi un espace réservé, dont l’institution doit veiller à ce qu’il existe mais dont le contenu doit rester propriété des professionnels.

Il est possible de proposer ici, une modalité de travail consistant à ce que l’institution instaure des espaces d’écriture. Chaque éducateur se présenterait, muni d’un écrit faisant le récit de fragments du quotidien avec l’une des personnes dont ils ont la charge. La mise en commun de ces textes, leurs lectures commune fera inévitablement naître des questions, mettra en lumière des traits saillants et favorisera une mise en perspective de l’action éducative. Par ailleurs, la conservation de ces écrits sera à même de redonner la mesure du chemin parcouru. La restitution de ce travail auprès de l’intéressé pourrait alors se faire de manière informelle. Plutôt que de ritualiser un compte rendu de ce travail, gageons que chaque éducateur saura, avec sa propre personnalité et dans le cadre de sa propre relation, prendre en compte les fruits de ce travail et les intégrer dans son rapport avec l’éduqué.

Ne serais ce pas l’occasion de revitaliser les réunions de synthèse qui sont le lieu privilégié de l’évaluation au quotidien ? Historiquement, ces instances sont des survivances du passé paramédical de la profession. Leur structure est pensée pour que des praticiens spécialisés donnent leurs évaluations l’un après l’autre quant à leurs domaines de compétence afin qu’un cadre donne le diagnostique final ainsi que la prescription appropriée.

Les éducateurs relatent les éléments qu’ils jugent pertinent, repris ensuite par le psychologue qui donne souvent un avis d’expert, (qui clôt souvent tout débat) Cette « parole du maître » est relativement reposante, car elle dispense de toute réflexion de plus, il est fréquemment impossible de contrer les hypothèses de ce praticien dans la mesure où il se repose sur un corpus théorique dûment estampillé par la faculté. Or pour qu’un débat s’instaure, l’égalité entre les protagonistes est requise. Enfin, après le tour de table, le directeur ou le chef de service décide de nouvelles modalités de prise en charge sous la forme de « projets personnalisés » .

Sous cette nouvelle forme, les synthèses ne viseraient pas obligatoirement à résoudre un problème, mais à recueillir les différents écrits et les accoler. La question rituelle du « et alors maintenant, que fait-on ? » ne se pose plus dans la mesure où l’objectif n’est plus de « faire » mais « d’être » différent dans son rapport avec l’éduqué. L’aspect pluridisciplinaire se justifie dans la multiplication des angles de vision, diversité assumée non dans une recherche de la vérité, mais pour soutenir une élaboration quant à ce qui se joue pour untel.

Reprenons l’exemple de notre éducateur et de son flemmard. On pourrait imaginer qu’il rédige un récit relativement dur, mettant en avant la flemme du jeune et son incapacité à se lever. Un écrit totalement subjectif donc! Un autre éducateur aurait, lui mis en avant la souffrance de cet ado qui a un père absent, qui ne lui accorde pas d’attention, sauf pour le dévaloriser. Un autre collègue aurait décrit une situation ludique où une crise de violence est survenue et où ce jeune a crié son besoin d’exclusivité. De la juxtaposition des écrits, un nouveau regard peut se construire, plus distancié et pourquoi ne pas supposer que l’éducateur ne finisse par lancer « Je ne suis pas ton père ! » L’important est que la maturation donne des fruits.

Il est frappant de constater que dès que nous abandonnons l’ambition d’évaluer le travail éducatif, il est possible de penser de nouvelles modalités de travail destinées à améliorer l’efficacité de ce même travail. L’idéologie conduisant à vouloir peser, mesurer ce qui relève d’un processus de changement à bas bruit, voit sa limite. Ainsi, un enfant replié sur lui-même, ne parlant pas à son entrée en institution et qui sort délinquant, sera-t-il considéré comme un échec ou une réussite ? Par contre considérer son cheminement qui lui permet maintenant de tourner son agressivité vers l’extérieur plutôt que sur lui-même, donne la mesure de l’efficacité de l’action institutionnelle. L’action des éducateurs n’est pas réduite à un fiasco, elle a permis à cette personne de modifier durablement son rapport au monde. La question de l’efficacité doit être posée, mais uniquement de manière singulière, au cas par cas.

Il n’y a pas de contradiction absolue entre cette position et les démarches de contractualisation, de mise en prestations de l’action institutionnelle préconisée par les différents textes législatifs actuels. L’éducatif est toujours préconisé, mais de manière transversale. Il n’est pas définit, et vouloir réduire les éducateurs à des prestataires de services revient à nier les objectifs visés par cette fonction. Les différents outils prévus par la loi peuvent être considéré comme des outils nécessaires permettant de définir les places de chacun, parents, enfants et éducateurs.

Cette tension ne doit pas être évitée par l’institution mais assumée comme un paradoxe générateur de sens. Du reste, n’est ce pas dans sa capacité à maintenir ouverte des questions soulevées, que l’institution voit sa fonction principale ?

Quant à nous autres, éducateurs, face à ceux qui écrivent à notre place, quand allons nous enfin nous mettre à écrire ce que nous faisons vraiment ?

Le signifiant,

c’est la cause de la jouissance.

Sans le signifiant,

comment même aborder cette partie du corps ?

Comment sans le signifiant,

centrer ce quelque chose qui,

de la jouissance,

est la cause matérielle ?

Si flou,

si confus que ce soit,

c’est une partie qui,

du corps,

est signifié dans cet apport.

J’irai maintenant tout droit à la cause finale,

finale dans tous les sens du terme.

En ceci qu’il en est le terme,

le signifiant

c’est ce qui fait halte à la jouissance.

J. LACAN

Bibliographie

Les divers ouvrages de J ROUZEL mais plus particulièrement :

Le travail d’éducateur spécialisé DUNOD

Du travail social à la psychanalyse Edition du champ social

Education thérapeutique Lin GRIMAUD ERES

Les Corridors du quotidien Paul Fustier PUL

L’institution et les institutions R KAES

A Jakobson dans : Le séminaire acte XX encore J LACAN SEUIL

« Le placement en institution considéré comme thérapeutique » dans : Déprivation et délinquance DW WINNICOTT PAYOT

Le poids du réel, la souffrance D VASSE SEUIL

(1) Pierre KAMERER psychanalyste.

(2) : Naissance à la vie psychique Albert Ciccone, Marc Lhopital DUNOD1997

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