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L'enfer c'est les autres, réflexions en temps de confinement.

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Alice BRIAND CADIOU

dimanche 12 avril 2020

L'enfer c'est les autres, réflexions en temps de confinement.                       

9 Avril 2020

Et si, l'enfer ne venait finalement, non pas des autres, mais de soi. En effet, Jean-Paul Sartre précise lors d'une interview en préambule du huis clos qui s'apprête à être jouée dans un théâtre par trois acteurs, que beaucoup se sont trompés, ont mal entendu, réflexion à propos en ces temps de confinement, où il n'est pas rare d'entendre l'enfer qui nous viendrait des autres en tant qu'ils seraient à l'origine de tous nos maux. Sartre rectifie de son vivant et informe l'auditeur de ne pas s'y tromper. «  L'enfer  » dit-il, dans une présentation audio de la pièce de théâtre tirée de son ouvrage, «  c'est l'absence de coupure  ».

Au sein de ce huis clos, les personnages réalisent que lorsque l'on est mortel, ne serait-ce qu'en clignant des yeux, on fait 4000 poses par heure. Le sommeil nous permet parfois de rompre avec le jour et ses tourments.

Ce n'est toutefois pas le cas de ce que Freud disait des névroses traumatiques pendant lesquelles les sujets se retrouvaient en position de continuer à revivre avec la même intensité des chocs du côté de ce que Freud nomme compulsion de répétitions, et Lacan de jouissance. Mais, si le sommeil n'est pas toujours si serein, le lâcher prise à l'endormissement, la coupure participent à ces phénomènes de castration nécessaires et salvateurs qui permettent «  de débrancher  ». En mars 2020, un SDF lillois témoigne de ce laisser pour compte qu'il est puisque à l'heure du confinement, il n'a aucun lieu au sein duquel se protéger. Plus tard, logé en hôtel réquisitionné par la municipalité lilloise, et ce, depuis trois semaines, il dit de ce nouvel hébergement : «  Je dors, je dors  », il sourit. «  Avant, je somnolais, toujours sur le qui-vive ».  Le sommeil serait-il une petite mort ? Au moins, une coupure d’avec la vie.

Là où le principe de plaisir prédominait dans les conceptions théoriques de ses contemporains, dans au-delà du principe de plaisir, Freud interroge la raison pour laquelle le sujet reste soumis à la compulsion de répétition. Freud se rend compte que quelque chose d'encore plus impérieux pousse inconsciemment le sujet à subir des souvenirs psychiques difficiles, des sensations corporelles qui lui sont désagréables.

Ce dont Freud s'étonne, ose à penser et à nommer dans cet ouvrage, c'est que c'est encore plus contre lui-même que le sujet lutte. Il décrit dans Au-delà du principe de plaisir que plus encore que contre autrui, c'est contre lui-même que l'organisme s'érige et qu'on ne doit pas ignorer ou minimiser la propension de chacun à l'autolyse. Freud revient à cette observation qu'il a faite de cas qu'il a rencontrés et qui se retrouvent plusieurs fois dans des situations complexes, voire critiques dont ils se plaignent plusieurs fois et qui semblent sinon identiques au moins analogues. Ça se répète, peut-être chaque fois différemment, mais ça semble revenir à la même place. Les circonstances a priori exogènes, questionnent Freud.

Freud ne croit pas au hasard.

Lacan dit également que le corps, ce qui l'affecte, c'est la langue, autrement dit, son rapport au langage. 

Lacan nous dit de la vie qu'elle n'est supportable que parce que les hommes ont la croyance qu'elle s'arrêtera. Au fond, personne ne peut témoigner de la mort, le sujet n'en a pas fait l'expérience pour lui-même, elle ne se vit qu'à la lumière de ses expériences de séparations, de ses rapports à l'absence. Mais au moins, pour en revenir à la mort et à la vie, les humains ont conscience, à quelques hommes d’État près ( persuadés qu'ils sont d'être protégés par le sans (sang) du christ ? ) «  que ça s'arrêtera  ». Là encore, la coupure ou l'idée de la séparation finale se ferait salvatrice. Actuellement plusieurs personnes sont très affectées par le deuil et ce dont ils se plaignent ou ce qui les arrêtent pour avancer, c'est l'impossibilité de pouvoir accompagner leurs défunts. «  Rapt du rite » . Quelle symbolisation, quelle élaboration, quels bords à pouvoir contenir a minima ce qui ne s'écrit plus, ne s'inscrit plus, de ce manque, de ce trou dans l'existence des sujets qui traversent un deuil en ce moment ?

Les effets de coupure en psychanalyse :

ce qu'en dit LACAN :

«  L'effet de l'interprétation, on ne peut en calculer la jouissance  » J. LACAN les-non-dupes errent 20/XI/73

«  La vérité du sujet touchant à la jouissance où s'abolit le savoir  ». Ça ne s'entend pas, ça s'éprouve pour se mettre au jour.

La tuche rencontre inassimilable avec le sexuel que la parole dans son usage « habituel » ne parvient pas à soutenir le sujet vers « la sortie » du trauma. «  Son symptôme, le sujet il y tient  ».

Que ce passe t-il alors dans l'analyse ? »

La parole ça engage. Le ça, qui dans l'automaton vient se faire ( par le transfert dans l'analyse ) , entendre par le sujet :

« La psychanalyse ne s'appuie que sur le désir du psychanalyste.  »

De quel désir parle t-on ? Je parle ici du désir d'analyse de l'analysant qui a été à la quête de La vérité mais doit faire au fond, avec la découverte de sa structure et ce qu'elle engage dans le rapport au monde, à la structure d'un sujet qui continuera de faire avec ses symptômes, à la quête de Savoir.

Ce savoir, c'est le désir de découvrir ce qui pour l'analysant se pose.

Qu'est ce qui se pose à l'analysant : «  une rencontre inassimilable avec le réel  »

J'ai pu observer dans ma pratique, plusieurs cas de décompensation qui sont advenus à l'annonce de conditions particulières de la conception, d'une naissance, un impossible, un vacillement à être mère ou père, de l'expérience sexuelle, de la mort, de la naissance.

En effet, cela même qui vient donner la vie, et qui fort d'être au monde vient mordre le sujet d'une première fois, une première castration, la condition de mortel. Si c'est moins le père qui coupe le cordon que celui qui élève, qui en est le père, comment ces hommes là, potentiellement exclus de la salle de naissance parviendront à ritualiser, à symboliser ce passage du compagnon de la femme au père ?

Ce qui fait coupure dans l'analyse, c'est d'abord tout le sérieux avec lequel l'analyste reçoit un sujet dans la singularité de celui-ci et de son rapport unique au monde.

Ça, pour un sujet dans un monde capitaliste et uniformisé, ça pose une ineffable différenciation.

Quels effets de l'arrêt des séances et de l'absence de rencontres physiques ? De l'usage massif pour les écoliers et les familles des multiples écrans ?

L'interprétation qui est un devoir du côté de l'analyste ne pare pas au peu de suggestibilité de l'être humain, du sujet de l'inconscient.

Toutefois, cette parole, peut faire résonner plus que raisonner dans la tête, le cœur et le corps de l'analysant quelque chose : «  das ding  ». Certains fuiront le cabinet, d'autres s'accrocheront à ce travail pour passer d'une plainte parfois nécessaire pour un temps à la quête d'une vérité, d'un savoir.

L'analyste n'en mesurera pas l'effet sauf parfois dans quelques après-coups ( d'où les différences de récits entre l'analyste et l'analysant d'un même travail analytique et qui sont reprochés à la communauté analytique)... Si un sujet n'y revient pas, par exemple, il s'agira de tenter de reprendre par la parole ce qu'il en est de cette désertion, d'un passage à l'acte qui se substitue à une élaboration symbolique.

Qu'en est-il de cet insu-portable ? La parole de l'analyste ou l’écho dans le corps propre, vécue comme effraction à laquelle le sujet se dérobe....

La parole n'est ce pas ce qu'elle fait, permettre au sujet de tenter, de cerner de plus près ce qui l'assaille de sa finitude, de sa castration ?

Et c'est bien, ce qui rend fou un des personnage du huis clos de Jean-Paul SARTRE, c'est que chacun des personnages dans leur rapport à l'autre, ( deux femmes, un homme ) , doit faire face à l’insupportable, non pas celui de l'autre mais, la permanence de sa propre structure. Que l'autre soit là ou pas, ce à quoi chacun a à se coltiner, c'est sa peau, pot, en avoir ou pas d'ailleurs, selon la structure... «  je n'ai pas de peau, pot  »

Alors la coupure, la fin de la séance, le silence, l'interprétation, la répétition par l'analyste d'un mot qui lui saute ou pas du tout à l'oreille, qui à l'énonciation fait ré-agir le patient va lui permettre de penser pendant le temps qui le sépare de sa prochaine séance, de faire travailler l'inconscient.

Le confinement, un temps suspendu, un ralentissement, un arrêt dans ce «  plus de jouir  » qui oppresse autant qu'il pousse, impose une ou plusieurs coupures.

En analyse, les pleurs, la rage, la colère autrefois destructrice de ce réel qui s'inscrit dans le corps surgit dans un dire autre qui passe d'une vérité ( toujours mi-dite ) : je souffre ; à un savoir ; celui d'une répétition qui ne se répète pas de nulle part. Qu'en est-il de la suspension des séances, la bascule de l'espace, le rester chez soi ? Le téléphone permet-il de soutenir un travail à visée analytique ?

Si la répétition se découvre là où elle se loge, dans le transfert, quels effets sur la cure ? Qu'est ce qui se répétera pour chaque sujet dans cette singulière période propice à l'angoisse, à la suspicion généralisée de nos contemporains ? L'effacement des rites qui viennent soutenir, border l'inassimilable viendra probablement impacter les sujets.

Dans la relation à cet Autre Sujet Supposé Savoir, ce traitement d'un même, «  le réel  », par le psychanalyste fera coupure par sa position inaugurale.

Quant au grand Autre, si ce n'est pas tant chez autrui qu'il s'incarne que dans le corps propre du sujet, comment con-finé, un sujet s'y prend aux prises avec la sur-vie ?

Le psychanalyste dispose de son écoute et de la parole mais aussi de sa présence dans la relation de transfert non dupe.

FREUD a très vite éclairé les psychanalystes à rester humble devant les conduites affectives des patients dont il a repéré qu'elle ne s'adressait pas à l'homme mais s'inscrivaient elles aussi, dans cette propension à la compulsion de répétition et à la répétition des scenarii dans lesquels les sujets étaient pris. Toutefois, cette rencontre comme nulle autre pareille, dans la cure, comment peut-elle s'exercer, exister confinée ? 

Cet Enfer où le sujet est soumis aux ravages de désirs et de passions dont il se plaint et qu'il adresse à un psychanalyste, qu'en fera t'il en ces périodes ou coachs, thérapeutes, fleurissent ? Certains suivis continuent mais d'autres qui exercent en Centres thérapeutiques ont cessé leurs suivis pour se déployer vers des plate-forme d'urgence ? Le thème de l'année des Forums du Champ Lacanien à venir s'agissant de l'urgence sera à cet égard, riche d'enseignement. En attendant de pouvoir surseoir au virus par la constitution de vaillant anti-corps, puisse cette période ne pas tout effacer de ce savoir quant au rapport au langage et là ou il s'inscrit, à savoir un corps, encore...

Il s'agira à venir, de permettre, de déplier ce qui pourra l'être et d'humaniser ce qui n'aura pas pu l'être pour, comme le dit LACAN : «  serrer, coincer, faire couiner la jouissance  » dans cette pratique incarnée de l'analysant à l'analyste pour ne pas «  plate-formater  » un sujet mais, lui permettre d'y faire avec son symptôme un peu moins souffrant avec les petits autres dans un corps largement habité du Grand Autre.

Pour conclure sur la question de l'Enfer, je m'appuie sur ce qu'il est dit du « paradis » littéralement jardin enclos, espace clos en est-ce aujourd'hui, au final de cet écrit, toujours la quête ?

                                               Alice BRIAND CADIOU

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