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LA NÉCESSITÉ DE L’EXPÉRIENCE EN ÉDUCATION SPÉCIALISÉE

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Pierre RICCO

vendredi 28 janvier 2022

      LA NÉCESSITÉ DE L’EXPÉRIENCE

    EN ÉDUCATION SPÉCIALISÉE

 

 

 

Pierre RICCO’

 

 

 

«  La pédagogie dit Maurice MERLEAU-PONTY, (est) la description de l’image que l’adulte se fait de l’enfant. » (1) Et le docteur Georges AMADO d’ajouter : «  Elle découle de leur rapport qui est, non pas seulement de connaissance, mais d’existence.  » (2) Et, vu mon expérience je me permets d’ajouter que «  c’est aussi un pouvoir instaurer entre les deux, la nécessité de l’expérience.  » (3)

 

Trois grands pédagogues-praticiens :

 

August AICHHORN nous dit qu’il ne peut y avoir d’éducation spécialisée sans expérience partagée, (4)

Georges AMADO nous dit qu’un éducateur n’a rien à transmettre, il a à être, (5) et

Bernard MONTACLAIR que l’éducation, ce n’est pas affaire de force, mais de finesse, et de méthode. D’amour, surtout. D’émotion partagée, et de respect inconditionnel de l’autre différent. (6)

 

Il y a là, la nécessité  d’un vivre ensemble qui donne sens à chacun pour que chacun puisse éprouver son besoin de liberté et exercer cette liberté comme un acte créateur pour lui et les autres.

 

 

*     auteur de Pour une pédagogie existentielle , Chronique sociale, 2021.

 

1.     M. Merleau-Ponty, Psychologie et pédagogie de l’enfant, l’enfant vu par l’adulte, Cours de Sorbonne, 1949-1952, Éditions Verdier, 2001.

2.     G. Amado, L’Être et la psychanalyse, PUF, 1978.

3.     P. Ricco’, Ibid.

4.     A. Aichhorn, Jeunes en souffrance, psychanalyse et éducation spécialisée, Champ social éditions, 2005

5.     G.Amado, Ibid

6.     B. Montaclair, Moments thérapeutiques, érès, 1998.

 

La nécessité , est pensée ici comme un besoin, un moyen et surtout comme une condition pour l’enchainement nécessaire des causes et des effets, des principes et des conséquences.

 

L’expérience est pensée ici comme éprouver ensemble par le partage d’une existence afin d’une connaissance dans le sens de naître avec dans ce monde, pour en toute connaissance pouvoir se projeter en ce monde. Être ensemble où l’expérience  fortifie les aptitudes à la créativité, à la décision comme acte de liberté.

Instaurer la nécessité de l’expérience en éducation spécialisée, c’est instaurer  un espace qui devienne le lieu où à travers le partage du réel, le jeune admis puisse avoir la possibilité de rejouer des scènes de sa vie afin que ces scènes rejouées deviennent des scènes résolutives.

 

En effet dans le partage du réel l’éducateur et le jeune n’ont pas le même statut, donc pas la même fonction, voire, pas le même rôle. C’est cette générationalité qui va permettre le jeu au combien éducatif du transfert et du contre-effet moteur de l’éducation spécialisée. Contrairement au jeu transférentiel en séance de psychanalyse, ici, il se joue par le réel de la vie quotidienne, malgré ou grâce au partage de l’existence en ce lieu pédagogique. L’éducateur reste un personnage pour le jeune et cette situation est le moteur même des jeux transférentiels.

 

Donc, instaurer ces espaces/lieu d’une pédagogie existentielle est le talent demandé d’une manière continue à chaque éducateur. Acte de créativité et d’humanisme, c’est à dire un acte de citoyenneté.

 

Il y a deux pédagogies pour l’action éducative et sociale.

 

1- La pédagogie de la commande faite par l’administration et les politiques aux travailleurs sociaux. Elle se fait à partir du regarder. Cette pédagogie voudrait une société du vivre ensemble le mieux possible, c’est à dire une certaine coexistence pour que rien ne bouge. Cette pédagogie ne requiert nullement une nécessité de l’expérience. Ici l’acte requit au travailleur social est le voir.

 

2- La pédagogie du désir. Elle se fait à partir de l’écoute. Par son écoute le travailleur social sait faire nommer les besoins qui prennent force pour un désir d’une société de l’existence où chacun pourrait devenir auteur du changement social et sociétal. Cette pédagogie a besoin d’instaurer la nécessité de l’expérience. Ici l’acte requit au travailleur social est l’écoute.

 

La fonction du voir :

c’est le voir qui crée l’objet, et l’objet crée l’objectivité, c’est à dire le mesurable et derrière vient l’idée de science et une tentation vers une chosification de l’autre. Cette chosification qui clôt l’homme parlant voulant aller vers un devenir et une existence. Il y a antinomie entre chosification et liberté et cela depuis Emmanuel KANT qui met en évidence que la réalité objective conçue dans tout le sérieux de la rationalité positive, est dépourvue de liberté. (1).

Dans ce genre d’action sociale de la commande, il s’agit d’un service contractuel entre le donneur d’ordre et le travailleur social pour réaliser des objectifs. Le monde objectif ne fournit pas les repères de la réalité, il couvre la vérité car le chiffre couvre toujours le phénomène qui lui est une éclaircie.

Pour contrôler l’action, il est prévu des évaluations sommatives pour nous faire croire que là est la vérité.

Dans ces contrats entre le commanditaire et le travailleur social, l’on parle d’usagers ou de clients. L’idée de citoyen n’est pas envisageable.

 

La fonction de l’écoute :

C’est l’écoute qui crée la parole, une lueur pour un possible. Cette lueur est prise de conscience que, outre la liberté au-delà des phénomènes, il y a également une liberté dans les manifestations en tant que lieu propre de la réalisation de son désir.

L’écoute, travail délicat, non mesurable. Souvent la parole est éminemment silencieuse, à peine perceptible, au delà du langage il y a la profondeur du non-dit, l’ineffable résonance du silence. Seulement la nécessité de l’expérience vécue ensemble prouve le respect de ce silence, le respect des personnes parce que l’éducateur par son partage à donné les preuves de l’authenticité de sa présence, de son engagement. C’est aussi le rythme vécu dans l’expérience  qui en apaisant le drame vécu autorisera cette parole tâtonnante qui s’affirmera comme projet, comme acte de liberté pour conquérir une vie citoyenne.

 

 

1. E. KANT, Critique de la raison pure , GF Flammarion, 2006.

Dans cette action, pas besoin d’évaluation chiffrée, mais d’évaluation formative pour le travailleur social et les autres, même les employeurs et responsables de l’action sociale, c’est à dire les élus.

Ici, pas besoin de contrat, mais une intelligence projectuelle qui établira un rapport de diligence entre tous, où même les conflits de légitimité entre les partenaires sera source de dynamisme et d’intelligence.

Ici, l’on ne parle plus d’usagers, ou de clients, mais d’acteurs devenant auteurs de notre société, c’est peut-être la finalité de la politique.

 

Le lieu de l’expérience.

Ce n’est pas parce que l’on va faire vivre ensemble des jeunes et des adultes dans une belle maison avec un beau jardin que ce sera le lieu de l’expérience éducative. Pour cela, il faut savoir instaurer une dynamique, où le rythme de vie donne sens à l’action, où la maison n’est pas un abri comme autrefois l’asile donnait asile aux pauvres, mais où le fait d’habiter un espace tiers donne intelligence à la complexité des choses en la provocant. Je travaille cela dans un livre Pour une pédagogie existentielle, édité en 2021.

 

Il y a d’autres lieux comme cette grande promenade en vélo qui au point de l’arrivée, autorise cette gamine a s’approcher avec émotion de son éducatrice pour lui signifier par un silence d’une profondeur presque visible qui fait signe à l’adulte pour : un aide moi à dire ce que je ne sais pas encore ce que j’ai à dire. C’est cette densité vécue dans cette promenade qui à donné valeur à l’éducatrice, au pourquoi elle était là, et à la gamine le pourquoi la justice la confiée à une éducatrice de l’action éducative en milieu ouvert. (AEMO)

Un autre éducateur d’AEMO qui passe ses jeudis après midi à la piscine avec les jeunes qui lui sont confiés, et allant dans la famille ou souvent il rencontre seulement la maman, il peut lui dire quelque

chose de ce qu’il a partagé avec son enfant. Ce récit de son expérience est une invitation pour que la maman s’autorise à dire elle aussi quelque chose de ce qu’elle éprouve avec son enfant. C’est une réhabilitation de son rôle éducatif, un encouragement. Elle n’est plus seule dans son tâtonnement. Elle reconnaît la fonction de l’éducateur et ils peuvent ainsi essayer un duo combiné structurant fortifiant la maman vers une fierté de citoyenne en retrouvant sa liberté. Voila une belle nécessité de l’expérience. La pédagogie du désir par l’écoute en l’expérience partagée.

C’est quand même autre chose que l’éducateur d’AEMO qui va dans les familles cocher sur une liste des objectifs réalisés et les non réalisés ordonnés par l’administration. Ce n’est plus un rôle d’éducateur, mais d’inspecteur. C’est la pédagogie du voir, cette pédagogie de la chosification de l’autre.

Pouvons-nous encore choisir la pédagogie qui vise l’existence ?

 

Chambéry, janvier 2022.

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