Accueil  --  Actualités  --  Textes

 


LISTE DE SUPERVISEURS


 

REZO Travail Social
Connexion au REZO Travail Social

 

ASIE-PSYCHASOC
3, Rue Urbain V
34000 Montpellier

Tél : 04 67 54 91 97
asies@psychasoc.com

 

   

Textes > fiche texte

La figure paternelle: déclin ou transformation ?

Suggérer à un ami Version imprimable Réagir au texte

Sebastien FOURNIER

mercredi 18 janvier 2017

 

Il y a encore quelques dizaines d’années, il existait une véritable distinction entre les rôles paternel et maternel au sein des familles. La mère restait le plus souvent au domicile afin d’élever (elle-même) les enfants. Elle se consacrait pleinement à leurs soins. Le père était lui, plus détaché. Il considérait la naissance d’un bébé comme un fait relatif au monde féminin. Il était assez peu présent dans l’éducation des enfants mais devait par contre, fournir les ressources économiques nécessaires à toute la famille. La figure paternelle avait la responsabilité de transmettre les règles familiales et sociales. Aujourd’hui, le contexte a considérablement changé. La femme s’est émancipée [1] . Elle travaille et apparait de moins en moins dépendante financièrement. Elle a la possibilité de « maitriser sa fécondité » en ayant recours (ou non) à la contraception. Elle est donc libre de choisir les grandes orientations (familiales et professionnelles) de sa vie. Or, elle n’est plus forcément disposée, comme autrefois, à sacrifier sa carrière professionnelle pour se dévouer (seule) à une éventuelle maternité. Par conséquent, l’homme est davantage amené à s’impliquer dans le processus de procréation, puis d’éducation. Il est en outre, plus attentif et plus proche de la mère durant les la grossesse puis, après l’accouchement. Il participe plus aux différents soins apportés au bébé. De nos jours, il y a probablement, une plus grande flexibilité dans les rôles de père et de mère. 

 

 

Qu’est ce qu’un père aujourd’hui ? 

 

Le concept de père est très difficile à définir. Il ne désigne pas seulement le géniteur (le père biologique) de l’enfant, mais plus largement, l’individu qui joue le rôle paternel sur un plan éducatif et relationnel. Généralement, il s’agit du père biologique, c’est le cas le plus fréquent dans notre société. Mais, il peut aussi, être un parent éloigné (un oncle, un grand père…), « ou un personnage clanique quelconque et éventuellement un personnage fictif (ancêtre idéalisé, Dieu le père) » (Juignet, 2012). Son existence ou son inexistence, ses attitudes, celles de la famille à son égard, ont une grande influence dans la construction psychique de l’enfant. D’après Joël Dor [2] , le père apparait comme « un opérateur symbolique anhistorique » (1989, p.17). Il constitue un « référent » à la fois, hors de l’histoire de l’enfant et à l’origine de celle-ci. Il s’agit, en quelques sortes, d’un ambassadeur chargé de représenter la fonction symbolique. Dans notre société, l’évolution des mœurs a complètement bouleversé la conception « traditionnelle » du pater familias. Comme l’explique la sociologue Christine Castelain-Meunier : « La paternité moderne est fragilisée par le fait que, désormais, la femme peut accéder aux même fonctions que l’homme, tout en mettant les enfants au monde. La complémentarité traditionnelle n’a plus de légitimité. Le champ de la paternité n’est plus circonscrit car il perd une partie de sa spécificité » (1997, p.55). Toutefois, ce constat de la mort d’une certaine forme de paternité ne signifie pas la disparition de l’indispensable fonction paternelle. Pour Christine Castelain-Meunier, « le rôle [paternel] n’est plus immédiatement donné par la fonction. La paternité moderne intègre une différence culturelle, économique et sociale moins significative entre l’homme et la femme. Du même coup, elle peut être plus riche car plus improvisée mais aussi plus fragile, plus incertaine » (Ibid, p.59).

 

 

La fonction paternelle

 

    Avant d’aborder longuement la fonction paternelle et ses différentes dimensions, il me semble nécessaire au préalable, de prendre du temps pour faire la distinction entre ce qui relève du rôle paternel et ce qui relève davantage de la fonction. Le premier peut se définir comme un modèle de conduites relatifs à une certaine position dans la société ou dans un groupe et corrélatif à l’attente de ces derniers. En d’autres termes, le rôle paternel correspond à l’ensemble des comportements qu’un individu en position de père, met concrètement, consciemment et volontairement en œuvre afin de respecter les normes sociales. La fonction a pour sa part, un caractère plus inconscient, psychologique et non volontaire. Elle ne se réduit pas au registre de l’action puisqu’elle se déploie aussi au niveau symbolique et imaginaire comme nous le verrons par la suite. Dès lors, le terme fonction désigne à la fois l’idée d’accomplir quelque chose, de s’acquitter d’une tâche, ainsi que celle de produire un « effet » chez Autrui (Lacan parlerait sans doute d’effet-sujet). Néanmoins, cet effet reste difficile à percevoir et à évaluer puisqu’il appartient, comme sa définition l’indique, au « territoire » de l’Autre. Ces quelques éléments permettent d’entrevoir l’importance de la fonction paternelle. Si le père s’inscrit dans l’éducation de ses enfants, c’est bien dans le sens étymologique du mot educare : « faire sortir, tirer au dehors, conduire hors de » (Picoche, 2002). Dès lors, il doit s’immiscer dans la relation mère/enfant pour permettre au tout petit le développement de son identité hors de la symbiose maternelle et rappeler en même temps à la maman qu’elle est aussi une femme, et plus particulièrement sa compagne. 

« Dans un premier temps, la diffusion de l’enfant et de la mère demande la présence d’un tiers, qui est ce personnage paternel […]. C’est le père qui barre la route à la toute puissance de l’enfant et à la toute puissance maternelle ressenties par l’enfant […]. Par sa présence autre, au sens d’une personne bien différente de la mère, il apporte la dimension de l’altérité. Plus tard, […], l’existence du père fait comprendre à l’enfant que sa mère n’est pas toute pour lui » (Juignet, Op.cit). La figure paternelle joue très tôt une fonction de tiers séparateur. Il est par ailleurs, très important dans les dernières étapes du processus de séparation-individuation tel qu’elles ont été développées [3]  par Margaret Mahler [4] , Fred Pine [5]  et Anni Bergman [6] . Durant le stade de différenciation des sexes et des genres, le père intervient par exemple, comme une figure identificatoire et identitaire. Il représente très souvent un modèle pour le petit garçon qui tente d’intégrer certaines de ses « particularités ». A l’inverse, pour la petite fille, le père n’a pas vraiment valeur de modèle. Elle le perçoit comme différent d’elle et s’identifie généralement, plus à sa mère. C’est ainsi, que l’enfant acquière une conception du genre (masculin ou féminin). Cependant, il serait trop réducteur de cantonner le père à la seule introduction des différences de genres. En effet, nous vivons dans une société où le lignage demeure paternel. La figure du père est donc symboliquement, celle de l’inscription dans une lignée, celle de l’origine et la plupart du temps, celle du nom de famille. On retrouve cette caractéristique dans notre rapport avec la généalogie. N’est-il pas courant d’identifier une personne en soulignant qu’il est le fils ou la fille d’untel, désigné comme son père ?

Au sein de la cellule familiale, le référent paternel joue aussi un rôle « d’interdicteur ». Il vient contrer, limiter et canaliser les pulsions de l’enfant. Il est porteur de la loi aussi bien familiale, que sociale, et notamment, celle de l’interdit de l’inceste. Le père doit parvenir à « unir un désir [celui de l’enfant] à la loi » (Lacan, 1966, p.824). Pour cela, il lui impose l’expérience du principe de réalité. L’enfant tente alors d’apprendre à gérer sa frustration. Il s’agit d’un processus long qui ne se met en œuvre qu’à partir du moment où sa maturité est suffisante. La naissance du langage en est assurément un signe annonciateur. L’enfant apprend à « maitriser ses pulsions - […] à établir un rapport de langage à la pulsion » (Freud, 1984, p.197-198). La figure paternelle l’aide et l’accompagne dans cette voie en valorisant la notion « d’inter-dit » : « dit-que-non, mais plus essentiellement dit » (Ponnou, 2014, p.30). Le langage apparait comme un moyen d’élaboration des pulsions les plus archaïques. C’est une étape majeure dans le développement de l’enfant puisqu’il peut ensuite, construire et s’approprier son propre savoir. 

Finalement, si la figure maternelle représente la fonction fondamentale de donner et de protéger la vie, le père a pour « fonction l’émancipation et l’inscription dans le social » (Steichen, 2002, p.68). Toutefois, s’il souhaite y parvenir, il lui faut rassembler deux conditions principales. En premier lieu, il doit avoir l’envie et le désir de tenir concrètement son rôle de père (on devrait plutôt dire ses rôles). De plus, il doit aussi, être reconnu à cette place par son entourage et plus particulièrement par la mère qui l’introduit et lui donne la légitimité d’intervenir auprès de l’enfant.

 

 

Les trois dimensions du père chez Lacan

 

    La fonction paternelle en psychanalyse ne peut être comprise dans sa complexité que si l’on distingue ce qui relève du symbolique, de l’imaginaire et du réel. Or, c’est précisément l’un des objectifs de cette troisième partie. Tout d’abord, il sera question de présenter brièvement l’articulation de ces trois figures du père qui ont été développées par Jacques Lacan. Puis, dans un second temps, il s’agira d’expliciter quelque peu cette théorie.

Selon Lacan, le père réel introduit la loi primordiale, celle de l’interdit de l’inceste à partir de la castration symbolique. Il est celui par la parole duquel l’interdit s’inscrit dans le rapport mère/enfant. Comme je l’ai expliqué précédemment, l’attitude de la mère et de l’entourage familial permet ou non, de légitimer sa fonction. Mais, « une fois cette place d’interdicteur prise, le père peut alors frustrer l’enfant de la mère (et la mère de l’enfant, bien évidemment). Il sera vécu […] comme  ayant droit à la mère, ce qui marque la valeur symbolique progressivement attribuée à la figure paternelle » (Druzhinenko-Silhan, 2012, p.66). L’enfant intègre sa parole et l’élève au rang de père symbolique, capable de créer un manque réel. « Ce manque réel, désigné comme mère réelle […], peut aussi être compris comme le manque de l’objet a [le phallus] » (Ibid, p.67). Dès lors, l’enfant substitue au signifiant du désir de la mère, un autre signifiant, le « Nom-du-Père » (Lacan, 1998, p.179-196). Il apprend ainsi, à gérer sa frustration. Enfin, la troisième dimension du père décrit par Lacan, se situe dans le registre imaginaire. L’enfant fait l’expérience des absences régulières (et réelles) de sa mère. Il ne parvient plus à s’assurer continuellement de sa présence à ses cotés. Il se rend même compte, que sa mère cherche l’objet a auprès de son père. Par conséquent, ce père est imaginé comme celui qui, par le fait d’avoir le phallus (dont la mère et lui-même sont privés), devient la figure préférée de la mère. Ce père n’existe pas dans la réalité, il n’est qu’une construction psychique de l’enfant, une création nécessaire pour dépasser son désir envers sa mère et lui permettre de grandir.

Le modèle théorique élaboré par Jacques Lacan permet de mettre en œuvre les différentes fonctions de la figure paternelle que nous avons étudiées dans le paragraphe précédent. Le père réel est celui qui introduit, le premier, l’altérité dans la relation fusionnelle entre la mère et son enfant. C’est un acte essentiel qui préfigure sans doute, au processus de séparation-individuation. L’enfant se dissocie de sa mère, il s’ouvre peu à peu, à d’autres liens, d’abord familiaux, puis sociaux. Le père symbolique est celui auquel renvoie la Loi. Freud l’évoque longuement dans le mythe de la Horde (Freud, 2005). Il fonde même l’interdit (de l’inceste notamment) sur la culpabilité des fils après le meurtre du Père. C’est d’ailleurs « un père qui n’a jamais autant été présent : il est pur symbole » (Rouzel, 2008). Cette seconde dimension permet à l’enfant d’initier un véritable travail sur lui-même. Il essaye de transformer ses pulsions en langage. On pourrait presque dire que l’interdit devient alors, « inter-dit ». Cependant, ce n’est là, pas la seule fonction du père symbolique (aussi appelé Nom-du-père par Lacan). Il assigne aussi l’enfant à « une place prédéterminée par l’ordre de la génération et de la généalogie » (Ibid). Il s’agit à ce stade, de ses premières assises identitaires (filiation). L’enfant va ensuite, s’appuyer sur la dimension du père imaginaire pour parfaire sa personnalité. En effet, le père dans sa position d’être celui qui est préféré par la mère devient un pôle d’identification attractif. Il « est pris pour celui qui ordonne le désir, interdit la mère et nous montre comment on doit être pour être aimé » (Druzhinenko-Silhan, Op. cit, p.68). 

 

 

Le déclin de l’image sociale du père

 

    Depuis plusieurs dizaines d’années en France, on parle, non sans insistance, du déclin de l’image sociale du père. Il existe une impressionnante littérature sur le sujet [7] . Pour autant, comment peut-on définir ce phénomène ? 

Françoise Hurstel [8]  a longuement étudié cette question. Elle en propose une analyse intéressante dans son livre : La déchirure paternelle (1997). Partant de la figure traditionnelle du père, elle montre comment les transformations de la société ont peu à peu, fait évoluer l’image, le rôle et la fonction du père. Selon elle, la déconstruction de l’ordre patriarcal est la conséquence de trois phénomènes : « le déclin de l’autorité paternelle ainsi que la disparition des fonctions unifiées du père dans le social (procréations médicales) et dans le conjugal (démariages) » (Steichen, Op.cit, p.67). Ces trois facteurs étant eux-mêmes, grandement influencés par l’évolution des lois et des mœurs. En effet, elle constate que le déclin progressif de l’institution paternelle s’est fait sous la pression d’un contexte social en mutation. Dans cette logique, nous pouvons citer l’évolution du statut des femmes (nous y faisions déjà référence lors de l’introduction générale à cette réflexion). Ces dernières se sont progressivement émancipées et disposent aujourd’hui de la possibilité de faire leur choix, sur le plan affectif et professionnel, en toute indépendance. D’autre part, les droits de l’enfant se sont considérablement développés et renforcés au fil des années. C’est pourquoi, l’homme en position de mari, de conjoint ou de père, ne « règne » plus sur sa famille comme il pouvait le faire par le passé. Il doit désormais, davantage écouter et respecter la parole du second parent et/ou de l’enfant (ou des enfants). Cette nouvelle conception des relations intrafamiliales marque le passage d’une vision essentiellement hiérarchique de la famille, à une vision plus démocratique. Dès lors, l’image traditionnelle du père ne fait plus référence. Il s’agit là, d’un aspect important lorsque l’on tente d’appréhender l’évolution de la place (réelle, symbolique et imaginaire) des pères dans la société. Cependant, il serait extrêmement réducteur de s’en arrêter à cette unique explication car, au-delà des droits accordés aux différents membres de la famille, c’est la structure même de cette dernière qui a considérablement changée. Le nombre des séparations et des divorces a fortement augmenté à partir des années quatre-vingt. De nouvelles formes de familles ont fait leur apparition comme les familles monoparentales ou encore, les familles recomposées. Plus récemment, la loi sur « le mariage pour tous » [9]  est venue officiellement ouvrir un droit à l’union (juridique), à l’adoption et à la succession des couples homosexuels. Il s’agit, nous semble-t-il, d’un premier pas vers la reconnaissance de l’existence des nombreuses familles homoparentales (parfois avec enfant(s)). Finalement, ces quelques exemples montrent à quel point les structures familiales ce sont à la fois multipliées et diversifiées. Il n’existe plus de « modèle » unique ou de référence absolue. 

Parmi les facteurs à l’origine de la profonde transformation de l’instance paternelle, Jacques Lacan et Joseph Rouzel [10]  citent également la montée en puissance du discours de la science. D’après eux, « la science est venue se substituer à l’autorité religieuse, où régnait Dieu le Père et ses commandements » (Rouzel, Op.cit). Il est vrai que la société contemporaine ne s’organise plus tout à fait comme autrefois. Elle n’est plus « dominée » par une croyance religieuse susceptible de « dicter » un certain ordre moral et une manière de vivre. Un contexte qui était particulièrement propice à la figure du père traditionnel - seul détenteur et représentant au niveau familial, d’une autorité issue de la loi divine. Mais, cette « conception » de la figure paternelle s’est progressivement « effondrée ». De nos jours, c’est « l’expert qui remplace l’ex-père. L’autorité n’est plus conférée par la religion et ses fastes, mais par les tenants d’un savoir savant » (Ibid). Il faut donc apporter la preuve (presque scientifique) de sa légitimité avant d’en faire usage.  Joseph Rouzel illustre son propos en prenant l’exemple du recours aux tests ADN. D’après lui, il s’agit très souvent, d’établir ou de vérifier scientifiquement des liens de filiation (génétiques). Cependant, il faut rester prudent avec ce type de démarches. En effet, si ces tests sont susceptibles d’identifier un géniteur (un reproducteur), ils ne peuvent en aucun cas, permettre de trouver avec certitude un père, c'est-à-dire une personne capable de s’investir dans le quotidien d’un enfant afin de lui assurer des conditions favorables à son épanouissement physique, intellectuel et psychologique. Nous sommes ici confrontés à une problématique qui nous renvoie indubitablement à la définition même de ce qu’est un père. A cet égard, n’oublions pas que le référent paternel se doit d’être avant tout, désigné par la mère et introduit auprès de l’enfant par l’intermédiaire de son discours. Il n’est donc pas toujours à chercher du coté biologique. C’est en outre, pour cette raison que le principe de paternité reste essentiellement fondé sur l’incertitude.

 

 

Des figures paternelles multiples et diverses

 

    Les évolutions de la société ont profondément modifié la figure du père comme nous venons de le voir. Néanmoins, il parait complètement inapproprié de conclure à son déclin. Nous pensons qu’il s’agit plutôt, du déclin d’une certaine forme des institutions de la paternité qui étayaient encore, il y a peu, l’ordre patriarcal. En effet, si le « modèle » du pater familias datant du 12ème siècle, ne constitue plus une référence sociale, de nouvelles formes de paternité sont apparues et coexistent côte à côte : « père-mère », « père sévère ou même tyrannique », « père absent » (suite le plus souvent aux séparations et divorces), « père au foyer » …. Aujourd’hui, le référent paternel ne se cantonne plus uniquement à l’exercice de l’autorité et à la transmission des contraintes sociales. Il s’investit, la plupart du temps, dans l’éducation de ses enfants. Il se soucie davantage de leurs besoins (psychoaffectifs) et de leur bien être. A l’inverse, les fonctions qui lui étaient autrefois « réservées » sont de nos jours, partagées et dispersées plus largement dans la famille, voire au-delà. « Outre les pères, y contribuent les mères, les oncles, les ainés, les éducateurs, etc » (Steichen, Op.cit, p.69). La fonction paternelle n’est donc plus l’apanage de la seule figure du père. Nous pouvons même dire que les transformations à l’œuvre dans la famille et plus largement dans la société, participent à une véritable redéfinition de cette instance. Evidemment, ces évolutions ne vont pas sans poser quelques problèmes. Certains pères se retrouvent d’ailleurs, très mal à l’aise ou en difficulté pour trouver leur place. Sur quels « repères » peuvent-ils s’appuyer ? Si un père décide « de faire le copain […] : “Ah ! Tu fais le copain, mais des copains on en a, on ne te demande pas d’être un copain !” S’il veut [au contraire] mettre un peu d’autorité : “ Les tyrans familiaux ca va bien ”» [11] . Cet exemple démontre toute la complexité pour occuper une posture paternelle adaptée. Il s’agit parfois d’une véritable quête ! Pourtant, les questionnements de ces pères sont légitimes et révèlent une volonté de s’engager dans une paternité plus active. Contrairement à quelques idées reçues, ils ne sont pas forcément « carents » ou démissionnaires. Certes, ces figures paternelles existent toujours, mais elles sont finalement assez rares (en proportion dans la population) et ne reflètent que très partiellement la réalité. Nous allons quand même nous y intéresser quelques instants afin d’analyser les possibles conséquences de ces situations d’absence paternelle. Nous savons que le père réel est celui qui introduit la loi primordiale et par la même occasion, l’altérité. Il vient faire tiers dans la relation mère/enfant. Mais, que se passe-t-il, si aucun « père » n’occupe cette fonction ? Nous pouvons penser que le processus de séparation-individuation permettant au petit de prendre ses distances avec sa mère, aura alors, des difficultés à se mettre en œuvre puisque le père n’est pas (ou plus) présent pour l’initier et le soutenir. Or, si l’enfant ne parvient pas à effectuer ce travail d’ordre psychoaffectif et cognitif, des perturbations plus ou moins graves peuvent apparaitre chez lui. Margaret Mahler parle notamment de retards dans ses acquisitions, d’angoisses et même dans certaines situations, de troubles apparentés à la psychose infantile.

Une nouvelle fois, nous réalisons l’importance et l’impérieuse nécessité de cette fonction. Heureusement, nous savons qu’en l’absence de « père », elle pouvait quand même, être occupée par d’autres personnes : des référents paternels de substitution. Mais, faut-il absolument que ce soit un (ou des) homme(s) ? Pour tenter de répondre à cette question, il est probablement nécessaire de prendre du recul par rapport à nos propres normes, nos mœurs et nos principes afin de s’intéresser à des sociétés différentes. Parmi elles, l’exemple des Moso, une ethnie habitant le sud-ouest de la Chine, a particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de l’une des dernières sociétés matriarcales du monde. Chez les Moso, c’est la mère qui assume les missions les plus proches de ce que nous appelons, la fonction paternelle. Elle a une place centrale dans la famille. Elle transmet son nom et son héritage (filiation) à ses enfants qui vivent avec elle, sous le même toit. Ils sont par contre, élevés par son frère (leur oncle maternel). Le père biologique est lui, totalement exclu de la sphère familiale. Il ne peut pas exercer sa paternité. Le mode de vie de cette ethnie, à l’image de quelques autres, démontre que la fonction paternelle peut sans doute être assumée par un autre agent que le père et/ou l’homme. C’est l’un des principaux enseignements de cette étude. Par conséquent, nous pouvons penser que cette fonction va bien au-delà des considérations de genre. Elle dépend essentiellement du contexte et de l’environnement social. Chaque peuple trouvant son équilibre à partir des repères issus de son histoire, de sa culture,  de ses lois et de ses traditions. Finalement, la question n’est peut-être pas tant celle de l’identité réelle de la personne qui fait office de référent paternel, mais plus celle de son inscription symbolique dans l’environnement familial et social, ainsi que son image dans l’esprit de l’enfant. 

En France, la famille (au sens sociologique du terme) a subi, au même titre que l’ensemble de la société, d’importantes évolutions durant ces cinquante dernières années. La figure paternelle a perdu de son autorité. Il faut dire que la fonction qui lui était attribuée  par le passé (Nom-du-père), est désormais mieux répartie au sein du couple parental, dans la famille élargie (grands-parents, oncles/tantes, parrains/marraines) et même, à l’intérieur des familles recomposées. Les repères symboliques « traditionnels » s’en trouvent inévitablement modifiés puisqu’ils sont davantage dispersés. C’est probablement pour cette raison qu’ils peuvent apparaitre plus « diffus » et moins « fiables ». Dans ces circonstances, le fonctionnement familial est sans doute plus « démocratique » mais il sous-tend, malgré tout, quelques écueils. Nous pensons notamment, que le « partage » de la fonction paternelle est susceptible d’alimenter les enjeux familiaux et donc, de favoriser une partie des conflits parentaux. Or, ces situations sont toujours préoccupantes et dommageables car elles donnent parfois lieu, à de graves dysfonctionnements éducatifs. N’oublions pas que la dimension du « Nom-du-père » – indispensable à l’intégration de la Loi par l’enfant – suppose au préalable, une reconnaissance de la (ou des) personne(s) qui en assume(nt) la mise en œuvre. Sans ce pré-requis, elle ne peut pas remplir sa fonction (telle que nous l’avons défini).

Parallèlement à la crise traversée par la famille contemporaine, il nous parait intéressant de réfléchir à l’étayage proposé par la société. En effet, si l’enfant ne trouve pas de repère suffisamment « rassurant » et « structurant » dans la sphère familiale, peut-il alors, en trouver à l’extérieur de cette dernière ?

Nous pensons que la société a longtemps joué ce rôle et qu’elle tente encore de le faire actuellement. Néanmoins, à l’image de la famille, elle ne semble plus offrir les mêmes repères. Ses principales instances symboliques (l’école, le travail, la santé et la justice) ont été durement touchées par le contexte socio-économique. François Dubet [12]  parle même de déclin des Institutions [13] . Les références, les normes et les valeurs qui constituaient le socle de notre société sont en constante évolution. Dès lors, il est difficile d’anticiper et de se projeter dans un avenir aussi incertain. Il nous semble par contre, indispensable de réinvestir le temps présent pour redéfinir des repères communs. Nous sommes probablement au début de cette démarche mais il reste encore du chemin à parcourir …

 

 

 

La réflexion que nous avons menée avait pour objectif d’appréhender la figure du père dans toute sa complexité. Ce travail a nécessité de longues heures de lecture et d’élaboration afin de proposer un écrit pertinent sur ce vaste sujet. Dans cette perspective,  nous avons essayé de produire une première approche, nous pourrions presque parler d’ébauche, avec ses qualités et ses (frustrantes) limites. Nous nous sommes notamment heurtés à la complexité de cet objet (la figure du père) ainsi qu’à la difficulté de l’aborder à partir du contexte actuel (historique et sociétal notamment). Pour conclure, si nous devions synthétiser l’ensemble de ce travail, nous pourrions dire qu’il est possible de « se passer du père (de sa figure ou de sa personne) à condition de s’en servir (de sa fonction) » (Steichen, Op.cit, p.76).

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

CASTELAIN-MEUNIER Christine, La paternité, éditions Presses Universitaires de France, Collection Que sais-je ? Numéro 3229, Paris, 1997.

 

DOR Joël, Le père et sa fonction en psychanalyse, éditions Point hors ligne, Paris, 1989. 

 

DRUZHINENKO-SILHAN Daria, Le père impuissant et l’objet a impossible : impasses adolescentes dans le lien social actuel. Thèse de doctorat : Psychologie clinique. Strasbourg : Ecole Doctorale Sciences Humaines et Sociale, 2012, 318 pages.

 

DUBET François, Le déclin de l’Institution, éd. Seuil, Paris, 2002.

 

FREUD Sigmund, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, éd. Gallimard, Paris, 1984.

 

FREUD Sigmund, Totem et tabou, éd. Payot et Rivages, Paris, 2005 (La Petite Bibliothèque Payot).

 

HURSTEL Françoise, La déchirure paternelle, éd. PUF, Paris, 1997.

 

JUIGNET Patrick, « La fonction paternelle. Le rôle du père dans la structuration psychique » in Psychisme [en ligne], 2012, disponible sur https://www.psychisme.org/Transverse/Rolepere.html (consulté le 28/11/2016).

 

LACAN Jacques, Ecrits, éd. Seuil, Paris, 1966.

 

LACAN Jacques, Les formations de l’inconscient, Séminaire V (1957-1958), éd. Seuil, Paris, 1998.

 

MAHLER. Margaret-Schoenberger, PINE. Fred, BERGMAN. Anni, La naissance psychologique de l’être humain (1975), éd. Payot et Rivages, Paris, 2010 (La Petit Bibliothèque Payot).

 

MELMAN Charles, « La fonction paternelle » in Association Lacanienne Internationale (ALI) [en ligne], 1996, disponible sur http://freud-lacan.com/freud/Data/pdf/melman-bull69-1996.pdf

 

PICOCHE Jacqueline, Dictionnaire étymologique du français, éditions Le Robert, Paris, 2002. (consulté le 05/12/2016).

 

PONNOU Sébastien, Lacan et l’éducation. Manifeste pour une clinique lacanienne de l’éducation, éd. L’Harmattan, Paris, 2014.

 

ROUZEL Joseph, « Fonction paternelle, fonction éducative » in Psychasoc [en ligne], 2008, disponible sur http://www.psychasoc.com/Textes/Fonction-paternelle-fonction-educative (consulté le 06/12/2016).

 

STEICHEN Robert, « Des pères à la fonction paternelle » in La Revue Nouvelle n° 7/8, Nom d’enfant, Bruxelles, éd. La Revue Nouvelle, Juillet-Aout 2002.

 

[1]  Les femmes ont successivement acquis le droit de vote (1944), de travailler sans l’accord de leur mari (1965), de recourir à la contraception (1967), puis à l’interruption volontaire de grossesse (1975). 

[2]  Dor Joël (1946-1999) est un psychanalyste français ayant appartenu au courant lacanien du Centre de Formation et de Recherches Psychanalytique (CFRP). Il  a été enseignant-chercheur à l’université Paris Diderot (Paris VII) et directeur de la revue « Esquisses psychanalytiques ».

[3]  Mahler. M, Pine. F, Bergman. A, La naissance psychologique de l’être humain, éd. Payot et Rivages, Paris, 2010 (La Petit Bibliothèque Payot).

[4]  Margaret Schoenberger Malher (1897-1985) était une psychiatre et psychanalyste américaine dont les travaux se sont essentiellement centrés sur le développement (normal et pathologique) du petit enfant à partir du lien précoce avec sa mère.

[5]  Fred Pine est docteur en psychologie clinique (Ph.D) et professeur émérite au College of Medicine Albert Einstein de New York.

[6]  Anni Bergman est docteur en psychologie clinique (Ph.D), psychanalyste,  membre de l'Association Psychanalytique Internationale et professeure associée au programme postdoctoral de l'Université de New York.

[7]  On peut citer au passage,  La révolte contre le père (1968) de G. Mendel, Vers la société sans pères (1963) de P. Mitscherlich, Père manquant, fils manqué (1989) de G. Corneau et bien d’autres ouvrages sur cette question.

[8]  Françoise Hurstel est psychanalyste et professeure émérite de psychologie à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. Elle étudie depuis plus de trente ans les évolutions de la figure paternelle dans notre société.  

[9]  La Loi relative au mariage pour tous du 17 Mai 2013, portée par Madame Taubira (Garde des Sceaux, Ministre de la Justice).

[10]  Joseph Rouzel a été éducateur spécialisé, puis formateur. Il est aujourd’hui  psychanalyste et directeur de l’Institut Européen « Psychanalyse et travail social » (PSYCHASOC). Il a écrit plusieurs livres de référence dans le domaine de l’éducation spécialisée.

[11]  D’après une conférence de Charles Melman à l’hôpital La Salpêtrière dans le service du Professeur Basquin, le 11 Décembre 1990.

[12]  Francois Dubet est un sociologue francais, ex-directeur d’études à EHESS et professeur à l’Université Bordeaux II.

[13]  Dubet François, Le déclin de l’Institution, éd. Seuil, Paris, 2002.

Commentaires


 

Copyright © par ASIE-PSYCHASOC
n° de déclaration : 91.34.04490.34

< site créé par meliwan  >