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Psychiatrie, santé mentale et psychothérapie institutionnelle

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Serge DIDELET

jeudi 26 septembre 2019

Psychiatrie, santé mentale et psychothérapie institutionnelle

Ce texte est la transcription de mon intervention à l’IREIS d’Annecy le 20 juin 2019

 

Bien en amont de cette intervention, j’avais prévenu l’IREIS de son erreur dans l’intitulé. 1 Bien sûr qu’il s’agissait de sourire : « Jean Oury, celui qui faisait sourire les schizophrènes », tel le titre éponyme de mon livre sur Jean Oury. Je n’ai jamais vu de schizophrène rire à gorge déployée, et dans la vie d’un schizophrène, il n’y a pas de quoi rire, il s’agit d’un effondrement existentiel parfois persécutant et le plus souvent effrayant. Un collapsus de la transcendance disait François Tosquelles. Alors, oui, le sourire, qui peut mettre des années à apparaitre, c’est cela, la temporalité d’une psychiatrie humaine, digne de ce nom.

 Le sourire, c’est important, mais là, il ne s’agit pas de sourire sur commande, d’avoir des sourires d’hôtesse d’accueil. Un sourire, c’est ce qui se donne, dans une certaine connivence, ce n’est pas du même ordre que le rire qui peut être agressif. Le sourire, ça évoque en moi le sourire du chat, qui est aussi le titre d’ une excellente autobiographie de l’éditeur-écrivain François Maspero. On peut se demander quel est l’usage qu’on fait du sourire du chat en PI ? Est-ce que le sourire ne serait pas corrélatif avec l’objet cause du désir ?

Quelques mots sur mon intervention dans le cadre de ces impromptus de l’IREIS. Aujourd’hui, je suis venu pour vous parler de la PI – donc de la psychiatrie- à travers l’un de ses acteurs princeps : le Dr Jean Oury, décédé en 2014. Mon intervention est structurée en trois parties :

  1. Les sources de la PI, c’est-à-dire d’où elle s’origine, d’un point de vue historique.
  2. Jean Oury et la clinique de La Borde.Un état des lieux de la psychiatrie contemporaine, enfin…ce qui en reste.

Alors, vous pouvez vous demander : qu’est ce qui m’autorise à venir parler de ça avec vous ? C’est Eric Miano, formateur à l’IREIS qui m’a sollicité suite-à l’édition de mon livre en 2017. Quant à moi, ce qui m’anime est de transmettre ce que j’ai pu réinvestir de mon itinéraire : mon socle épistémique – le cadre de référence – c’est l’éducation spéciale avec des jeunes placés par la Protection de l’enfance, puis un long détour par l’Université pour un Master de recherche sur les pratiques sociales, et surtout, une formation à la psychanalyse de plus d’une décennie qui n’est d’ailleurs jamais achevée, selon le principe qui m’est cher, celui d’une formation continuée tout au long de la vie. De même, et vous-mêmes, étudiants dans les formations qualifiantes du travail social, votre formation ne s’arrête pas à l’obtention du diplôme tant convoité. Face à la complexité du monde et de l’humain, induit par le malaise dans la civilisation, je ne peux que vous encourager à continuer à travailler, à lire, à écrire, et à réfléchir sur le sens de votre pratique. Comme le disait Oury : « Il faut être intelligent, sinon on est complice ! ». En outre, et d’un point de vue éthique, il me semble qu’un travailleur social sérieux et sincère ne peut qu’être dans une posture instituante, face à un institué qui tend à sacrifier l’humain tant il est investi par les questions économiques et financières. De cette dérive, nous en reparlerons tout à l’heure. 

Quelques mots sur mon activité afin que vous compreniez d’où je parle. J’exerce la psychanalyse en cabinet, j’interviens sur site comme superviseur d’équipes et comme formateur, et j’anime régulièrement un séminaire, partage dans un petit groupe actif d’une question, ou d’un sujet que j’ai mis préalablement au travail durant une année, parfois plus…  Evidemment, et je ne peux pas m’en empêcher, j’ai travaillé sur cette intervention, et je suis venu avec un texte que j’ai rédigé. Il faut toujours que j’en passe par l’écriture, c’est pour ça que j’aime bien évoquer cette fonction épistémique de l’écriture, écrire permet de clarifier sa pensée et de réfléchir. Je vais essayer le plus possible de me décoller du texte, de m’en écarter de temps à autre. J’utilise le texte comme fil conducteur afin de rester cohérent et compréhensible. Mais de plus en plus, j’ai du plaisir à improviser, me distancier de mon texte, me laisser aller à parler, à associer. C’est une nécessité éthique qui s’est peu à peu imposée à moi ; dans le sens où ce que je dis doit être de l’ordre de ce je peux rendre compte de mon propre cheminement, ce avec quoi nous abordons l’Autre, Autrui, dans sa misère existentielle.

1 . Les sources de la PI.

On peut repérer trois évènements déterminants dans la naissance de la psychiatrie contemporaine. Je pourrais oser dire trois ruptures épistémologiques puisque nous avons à faire à des moments qui se veulent constitutifs d’une science ; et comme le disait Michel Foucault, il s’agit d’un monologue de la raison sur la folie. Donc, trois évènements, 3 ruptures :

  1. La naissance de la psychiatrie avec Philippe Pinel et Jean Baptiste Pussin qui – en 1795 - ont libéré les aliénés de leurs chaînes, d’abord à l’Asile de Bicêtre, puis à la Salpêtrière. C’est par leur action à visée humaniste (le fou n’est plus considéré comme un animal) que se développa l’idée d’un traitement moral de la folie. Le traitement moral supposé libérateur sera, selon le philosophe Michel Foucault, un nouvel enfermement où les chaînes de fer ont été remplacés par un discours normatif, produit par des psychiatres soucieux d’exercer leur plein-pouvoir médical.
  2. L’invention de la psychanalyse par Freud au début du XXème siècle, qui donna un modèle théorique d’approche du psychisme humain jusque dans ses ultimes limites.
  3. L’émergence du mouvement de la PI pendant la seconde guerre mondiale, qui a permis de repenser l’institution psychiatrique, et d’appliquer les concepts de la psychanalyse, à un traitement possible des psychoses. La politique du secteur qui naîtra dans les années 70 sera son complément afin de penser les modalités d’un extrahospitalier.

En 2019, quand la santé mentale tend à remplacer une psychiatrie moribonde, la visibilité de ces trois sources est de moins en moins apparente. Pinel et Pussin font partie d’une histoire ancienne, et ils disparaissent en même temps que le modèle de l’asile de fous. La psychanalyse est malmenée au profit d’approches fondées sur la biologie, le comportement et la socio-éducation, approches objectivantes et quantifiables. A ce titre, la HAS a qualifié la psychanalyse et la PI de non pertinentes, et peu efficaces dans le soin des autistes et autres troubles envahissants du développement, ; et à les interdire dans les établissements, exerçant pour se faire, un chantage aux subventions (si vous ne voulez pas crever, faites comme on vous dit…). Heureusement, le Conseil d’Etat a annulé ces décisions en 2014, ce qui constitue quand même un désaveu de l’outrepassement autoritaire de la HAS. 

Malheureusement, la psychanalyse a quasiment disparu de la formation des psychiatres et des infirmières. Elle survit dans quelques universités et dans la formation des psychologues cliniciens, elle est de moins en moins évoquée dans la formation des éducateurs. Et pourtant…pour moi, les fondamentaux psychanalytiques sont l’alphabet de ces professions du social, ces métiers de la relation.

      Quant à la PI, on peut se poser la question de son avenir. Si elle résiste en certains lieux emblématiques, elle est minoritaire, elle n’existe que dans le mouvement, c’est un processus sans cesse à bâtir, à interroger, c’est un vrai chantier, la PI, comme la psychiatrie, d’ailleurs. Elle est apparue dans un hôpital psychiatrique de Lozère, à 1000 mètres d’altitude, dans un village isolé plusieurs mois par la neige. C’est l’hôpital psychiatrique de Saint Alban. Pendant la guerre, il devint un lieu de refuge et de protection pour de nombreux dissidents. Ce fut l’asile, au sens littéral, un lieu d’accueil, face à une armée allemande qui occupait la région, face aux collabos à leur service.

      Outre les malades (environ 700), l’hôpital accueille des résistants recherchés par la Gestapo, des artistes, des écrivains, des philosophes : Paul Eluard, Tristan Tzara, Georges Canguilhem ont vécu à Saint Alban.

      En 1941 arrive François Tosquelles, psychiatre catalan. La défaite de la République espagnole l’a obligé à migrer en France, il est condamné à mort par Franco. Il passera la frontière à pieds, par les Pyrénées, il sera fait prisonnier et interné au camp de Sept Fonds, puis il arrivera à Saint Alban. Il en deviendra rapidement le médecin-directeur. Tosquelles amènera deux livres dans sa valise, lesquels et à eux-seuls, peuvent symboliser les deux axes de travail qui seront entrepris à St Alban, et qui rayonneront ensuite dans toute la France pendant trois décennies sous l’appellation de PI. Le premier livre est la thèse de doctorat de Jacques Lacan : « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ». Cette thèse illustre le regard de la psychanalyse sur la psychose, montrant que la production psychotique n’est ni insensée, ni due à un déficit, elle est une création humaine porteuse de sens et digne d’attention. C’est à l’institution de savoir se donner les moyens de l’accueillir. Le concept d’accueil est central en PI.

      Le deuxième livre est du psychiatre Hermann Simon, il s’intitule « Une thérapeutique active à l’hôpital psychiatrique ». H. Simon, fondateur de l’ergothérapie, distingue ce qui, dans les maladies mentales, est dû à la personne malade, et ce qui est induit par l’institution elle-même. Il énumère les trois maux générés par l’hôpital psychiatrique : l’inaction du patient, l’ambiance défavorable, et le préjugé d’irresponsabilité du malade par les soignants. Il pense que seule la vie collective peut fournir la base d’une vraie thérapie. Cette thérapie s’appuiera sur trois principes : liberté de circulation du patient, responsabilisation, et analyse des résistances émanant de l’établissement lui-même, ce que l’on appellera plus tard l’analyse institutionnelle.

      Donc, dans ces deux ouvrages apportés par Tosquelles, nous trouvons le germe du fondement princeps de la PI : la théorie de la double aliénation, l’aliénation mentale et l’aliénation sociale ; c’est pour cela que l’on peut dire que la PI marche sur deux jambes : Marx et Freud.

      Dans cette naissance de la PI, on ne peut pas occulter les circonstances historiques . Beaucoup d’infirmiers ont connu la déportation et les persécutions, cela leur a fait prendre conscience que l’hôpital psychiatrique était un univers carcéral et anxiogène ; que l’ambiance délétère et de déréliction produisait des pathologies, ce qui renvoie au concept de pathoplastie cher à Jean Oury : il s’agit de pathologies générées par l’ambiance. On ne peut pas soigner quelqu’un dans un milieu qui est nocif, d’où l’évidente actualité du mot d’ordre de la PI : Pour que l’hôpital soit thérapeutique, il faut soigner l’hôpital.

      Et soigner l’hôpital, c’est aussi prendre soin de ceux qui y travaillent, à l’inverse de ce qui se passe actuellement : l’institution thérapeutique qui rend malade ses propres agents, c’est pour vous dire que tout va bien !

      Tosquelles arrive à St Alban, et en quelques mois, l’ambiance a changé. Il n’y a plus de pavillons fermés, et puis, s’en est fini des séparations sémiologiques où étaient concentrés les malades dans des lieux-poubelle : les aigus, les chroniques, les agités, les furieux, les gâteux…taxonomie délibérément ségrégationniste qui faisait régresser les malades. Tosquelles fera tout le contraire en fabriquant de l’hétérogénéité. Il est remarquable que dix ans avant la naissance des neuroleptiques, il fut possible de calmer l’agitation et la jouissance mortifère, et simplement en modifiant l’ambiance.

      Ainsi l’hôpital de St Alban fut la Mecque de la PI pendant quelques années, il sera aussi un lieu de formation pour de nombreux psychiatres qui auront à cœur d’essaimer cette praxis psychiatrique dans les divers établissements où ils travaillent. C’est ainsi que Jean Oury, en 1947, il a 23 ans, il est à la fin de ses études médicales, et il passera deux ans à St Alban, et sa rencontre avec Tosquelles sera déterminante et infléchira toute sa vie. St Alban fut son socle épistémique, sa propédeutique psychiatrique. En 1949, à la demande de Tosquelles, il part pour un remplacement à la Clinique de Saumery…je pourrais en dire quelques mots, afin que vous compreniez le contexte, à la fin, si nous avons le temps.     En 1953, c’est ce que j’appelle dans mon livre la nef des fous, le mythe fondateur ouryen : il ouvrira la Clinique de la Borde et il y mourra 61 ans plus tard.

2. Jean Oury et la clinique de La Borde.

En PI, et s’il y avait un signifiant-maître, ce serait l’accueil. L’accueil, ce n’est pas l’admission qui peut dans certains cas devenir un anti-accueil. L’admission a une dominante administrative, il s’agit de l’enregistrement d’une arrivée, c’est d’essence bureaucratique. Il existe des admissions qui vont à l’encontre de l’accueil : admissions dépersonnalisantes, déshumanisées, voire humiliantes. Voir ce qu’il en est de l’admission dans beaucoup de services psychiatriques, avec la fouille des affaires personnelles comme préalable, suivie de l’obligation de porter un pyjama (souvent de couleur bleue) ; stigmatisation par le port obligatoire de cet uniforme qui peut être ressenti comme la marque de l’indignité, voire de l’infamie.

Une admission se déroulant ainsi est un anti-accueil. Mais qu’est-ce que l’accueil ? Ce ne doit pas être une formalité, c’est un processus subtil qui ne se réduit pas au jour d’arrivée, c’est une fonction continuée, ça n’est jamais fini, accueillir est une posture qui fonctionne de pair avec l’écoute. L’accueil, c’est collectif, et cela nécessite une disponibilité non feinte de la part du personnel soignant. Les schizophrènes ont des antennes questionnantes, ils sont très sensibles, ils ne s’y trompent pas, ils sentent tout de suite qui est là, qui a le désir d’être là, et qui ne l’a pas. Ce qui compte, c’est l’expérience personnelle de chaque soignant, cela n’a rien à voir avec un diplôme, même s’il est recommandable de passer les diplômes. 

Quel est « l’arrière-pays » des gens qui travaillent à la clinique de la Borde ? Plus qu’un diplôme, ce qui compte beaucoup pour Jean Oury, c’était par exemple d’avoir traversé une vraie dépression ou une décompensation psychotique, il disait que c’était une chance dans la formation personnelle de quelqu’un, de pouvoir traverser un épisode de ce genre et de s’en sortir, c’était l’occasion de ne pas finir idiot. En outre, ce savoir expérientiel qui n’est enseigné nulle-part peut servir aux autres.

La pensée d’Oury s’articule à partir de deux axes : celui d’une théorisation permanente de la clinique des psychoses, dans laquelle une psychanalyse – d’inspiration freudienne et lacanienne – tient une place essentielle, et celui de l’analyse institutionnelle permettant l’organisation et la mise en œuvre du travail quotidien en psychiatrie. Pour Oury, la psychanalyse est l’alphabet de la psychiatrie.

Yannick Oury, fille de Jean Oury définit ainsi la clinique de la Borde :

  « La clinique de La Borde est une clinique destinée à accueillir les malades psychotiques, grâce à un dispositif institutionnel tenant compte de l’extrême complexité de ces pathologies. »

      Diverses instances dans l’établissement, des commissions, le club thérapeutique, des contre- pouvoirs, des espaces du dire, un collectif, des activités, et une analyse institutionnelle permanente… hiérarchie horizontale et transversalité. Penser autrement un lieu de soin. Au-delà de l’établissement de soins, il y a de nombreuses institutions au travail.

La vie quotidienne est aussi une activité. Les soignants, quels que soient leurs diplômes sont appelés « moniteurs ». La Borde, c’est un collectif fait de plusieurs institutions au sein de l’établissement. A ne pas confondre avec une collectivité. Les collectivités ont tendance à se refermer sur elles-mêmes, c’est le syndrome de la forteresse assiégée, il faut sans cesse prendre garde à ce qu’il y ait une greffe permanente d’ouvert. Tosquelles disait :  « l’établissement, ce sont les murs ; l’institution, les murmures… »

      Il ne faut pas confondre établissement et institution. L’établissement renvoie à la collectivité, à l’établi, c’est de l’ordre de la logistique, de l’organisationnel, c’est en rapport avec les normes sociétales dans la mesure où un établissement de soin a un contrat avec l’Etat. La Borde est une clinique psychiatrique, un établissement agréé par la sécurité sociale, donc soumis au prix de journée, par conséquent, hétéronomes aux tutelles, et Jean Oury s’est battu avec les tutelles pendant plus de soixante ans…des tutelles qui essayaient de l’empêcher de travailler.

      Si l’on reste à ce niveau-là, on reste pris dans l’homogénéisation, de la ségrégation, du primat des statuts, et des hiérarchies pyramidales. Le statut, c’est légal, c’est le diplôme, c’est inscrit en haut de la fiche de paye. Le rôle, ce sont surtout les autres, les collègues qui vous le donnent pour que vous trouviez votre utilité au travail. La fonction, en PI c’est la fonction soignante, elle est partagée, et elle ne doit pas être la propriété du directeur, ni des médecins. A la Borde, il y a un potentiel soignant, qui vient non seulement des moniteurs salariés, mais aussi de certains patients qui prennent soin de leurs pairs. Il y a beaucoup de solidarité entre les pensionnaires de la Borde. On pourrait parler de sympathie, certains ont évoqué la gentillesse.

Un des mots-clés de la PI, c’est l’hétérogénéité. Si le milieu n’est pas hétérogène, on est dans le cloisonnement. Pour qu’il y ait de l’hétérogène, il faut de la libre circulation. Il faut lutter contre la tendance à l’homogénéisation, ce qui est intéressant, c’est  la tuché , la rencontre réelle de ce qui n’est pas soi. Mettez des alcooliques ensemble, ils n’auront qu’un désir, celui de boire ! Regrouper les malades par pathologies, c’est une tendance héritée de la bureaucratie. Lorsque Tosquelles est arrivé à Saint Alban, il y avait le pavillon des agités, des gâteux, des aigus, des chroniques ; il a ouvert toutes les portes et a mélangé les patients, et cette bouffée d’air frais a supprimé les artefacts…le gâtisme, l’agitation, et cela, avant l’arrivée des neuroleptiques…et l’on n’entendait plus les fous hurler d’un pavillon à un autre.

Le collectif labordien s’efforcera d’éviter tout ce qui sépare, tout ce qui cloisonne, tout ce qui tend à homogénéiser coûte que coûte. Les schizophrènes manquent de point de rassemblement, ils sont disloqués, éparpillés, dissociés, effets de la Spaltung (Bleuler). 

La dissociation est le pilier des symptômes primaires de la schizophrénie. La dissociation, contrepoint à l’association libre de la cure analytique, comme quoi il vaut mieux pouvoir associer que d’être dissocié. Le patient, soumis à un processus primaire de dissociation, s’en défendra en produisant des symptômes secondaires tels que le délire paranoïde ou les hallucinations, constituant, de ce point de vue, une tentative d’auto-guérison. Oury disait que dans la psychose, c’est le transfert lui-même qui est dissocié. Tosquelles parlait de transfert multiréférentiel. Le travail, c’est de tenir compte de ces multiples investissements transférentiels, par conséquent, il est nécessaire d’avoir un milieu de vie multiple, pluriel, varié, hétéroclite et hétérogène. Un établissement où tout est cloisonné empêche le patient de circuler, de passer d’un point à un autre, de faire des choix, d’investir un objet transférentiel. Avec les psychotiques, il faut du bric à brac.

La topique de ce vécu d’enfer schizophrénique est ce qu’Oury appellera  « le point d’horreur », situé derrière un miroir qui ne joue pas son rôle de rassembleur du corps éparpillé, dissocié, sous l’œil de l’Autre, le responsable d’autrui. A l’opposé, Oury propose  « le point d’auror e », espaces de possibles rassemblements de l’image du corps, lieux d’accueil rendant possible une contenance des transferts dissociés et autres espaces du dire.

      Pour que les psychotiques puissent « habiter quelque-part » et s’arrimer à divers petits espaces transférentiels, il leur faut non seulement des lieux hétérogènes, avoir la possibilité du choix, et qu’ils puissent circuler sans contrainte, mais aussi il est souhaitable que les moniteurs ne se ressemblent pas, qu’eux aussi soient hétérogènes. L’hétérogène permet de passer d’un point à un autre. Il faut que les lieux soient différents, cette différence crée de la distinctivité. Si les patients peuvent circuler, ils peuvent faire des rencontres, c’est mieux que l’isolement. Sans un minimum d’analyse, l’ambiance propre aux établissements de soins peut être pathogène.

 A contrario, on voit parfois des malades dont l’état s’améliore très vite par un simple changement d’ambiance, de milieu de vie. La constellation transférentielle est une bonne illustration du rôle de l’hétérogénéité. C’est un petit groupe de personnes, investies positivement ou négativement, et qui parlent d’un patient. Imaginons qu’un patient psychiatrique devienne de plus en plus difficile, envahissant tout l’espace institutionnel, et de ce fait, remuant le contre transfert du groupe soignant. La constellation, ça nous vient de la clinique de la Borde. Le principe : plusieurs personnes se réunissent pour parler de quelqu’un en graves difficultés.

 La constellation aura d’autant plus d’efficacité si elle est hétérogène. Si l’on convoque six médecins, ça sera beaucoup moins efficace qu’un cuisinier, une maitresse de maison, une femme de ménage, un psychologue, un médecin et un éducateur. Il y aura là beaucoup plus de possibilités et d’ouvertures, de surprise, d’échanges, de manifestations et d’expressions. Le principe : convoquer des personnes différentes, aux fonctions différentes, mais qui toutes ont un lien avec le patient. Cela peut provoquer des changements extraordinaires, c’est la mise au travail d’une chose fondamentale qui est niée par la psychiatrie traditionnelle : la pathoplastie. Le milieu, ça se travaille. Hétérogénéité et distinctivité, deux états institutionnels qui autorisent la respiration. Alors vous verrez que suite-à cette constellation, la situation s’apaisera, et les fantasmes (imaginaires) perdront de l’ampleur, c’est quelque chose qui fonctionne, à inclure dans votre boite à outils, et c’est quelque chose de transférable à vos milieux d’intervention, moi-même, je l’ai utilisé en MECS, dans un foyer d’enfants de l’ASE.

Ce qui est frappant quand on arrive à La Borde, c’est l’ambiance. Vous êtes accueillis par les poissons-pilotes, il y a un accueil permanent à La Borde, et ce sont les pensionnaires qui l’incarnent.

Les anges-gardiens : ils accompagnent ceux qui vont le plus mal, cela renvoie à la fonction soignante du collectif tout entier. Ce sont les appellations insolites de la Borde : les anges-gardiens, les poissons-pilotes, les constellations, le club thérapeutique, le comité d’accueil, la commission des menus, l’association culturelle…il y a un vocabulaire labordien, une culture. C’est un lieu très singulier.

Pas de blouses blanches, ni badges, on ne sait pas à qui on a affaire et ça peut être cocasse. Pas de distinction soignants/soignés, ça induit sur l’ambiance. L’ambiance est un facteur déterminant de guérison, au même titre que le bon usage des médicaments, de la psychothérapie, ou de la sociothérapie. Puisque l’aliénation est double (psychopathologique et sociale), le travail avec le patient s’appuie à la fois sur des thérapies individuelles (psychanalyse par exemple) et sur un travail en collectif, à travers diverses instances langagières, et notamment sur la qualité de la vie quotidienne. 

C’est important, l’ambiance. Ce n’est pas la même chose d’être attaché sur un lit, dans une chambre d’isolement, que de pouvoir circuler librement, avoir des relations sociales en différents lieux, avoir la possibilité du choix, voire prendre des responsabilités. Comme le disait Oury :  « l’ambiance, ce sont les entours, il faut les soigner… ». Comment faire vivre un lieu, ses pratiques, pour faire vivre autrement ceux et celles qui l’habitent ? Quand est-ce qu’un lieu devient pathogène et porte les symptômes d’une maladie grave qui ronge ceux qui l’habitent ? Répondre à ces questions, cela renvoie à l’analyse institutionnelle qui doit être quotidienne, l’AI, analyse de l’aliénation. 

L’ambiance, ça renvoie à la pathoplastie, peut-être le concept le plus important de la PI : la création par l’ambiance de la symptomatologie morbide, d’où l’importance de l’ambiance dans la vie quotidienne.

Veillance et disponibilité sont les mots d’ordre princeps de la PI. Consentir à se faire secrétaire de l’aliéné, comme le conseillait Lacan, être attentif à la qualité de l’ambiance.

Il faut aussi de la connivence, c’est à dire une complicité positive. Ne pas être omnipotent, ne pas avoir l’air d’être (trop) là comme un personnage providentiel, mais être pourtant bien présent, disponible et veillant. La fonction – 1 , fonction vacuolaire de l’institution : il faut une case vide pour que ça puisse bouger, qu’il y ait des échanges. Cela renvoie à la nécessité qu’il y ait des espaces vides de toute incitation ou contrainte. La fonction – 1 est celle du désir, celle du manque, celle du désirant. Il vaut mieux être désirant que désirable.

La bienveillance, Oury s’en méfiait, au nom de la bienveillance, on peut faire les pires choses…comme utiliser les psychotropes comme camisoles chimiques, ou attacher quelqu’un sur son lit tout au long de l’année, comme nous l’avons vu il y a deux ans à Bourg en Bresse. Cela renvoie à la qualité de la vie quotidienne, des quantités de nuances qui jouent dans les entours. 

S’il y a une fonction psychiatrique, elle est non seulement transdisciplinaire (en rapport avec tous les registres de l’homme : le biologique, le psychique, le social), mais elle est en rapport avec une connivence généralisée.  « Ce qui devrait être le souci majeur de tout praticien : tracer chaque jour son champ d’action, redéfinir ses outils, ses concepts, lutter contre sa propre nocivité afin de préserver ce domaine toujours menacé : l’éthique ».

Quant à l’éthique, c’est l’adéquation de son désir propre, avec l’action menée ; et l’action, c’est, dans la relation thérapeutique, la responsabilité pour autrui. On peut dire aussi que l’éthique, cela consiste à ne rien céder sur son désir, comme le conseillait Lacan dans son séminaire 7. 

De nos jours, dans de nombreux lieux psychiatriques, les bonnes volontés sont écrasées, empêchées, c’est une période de nihilisme thérapeutique, qui a commencé au début des années 80 : la clinique est réduite au DSM, ramenée à la description athéorique des symptômes, au détriment d’une psychopathologie qui tend à passer dans les oubliettes. Le sujet est hors sujet, sa singularité est niée, il devient un usager-objet de soins plus ou moins bien consentis. En outre, dans certains établissements pathogènes, les personnes de service ne doivent pas parler avec les malades. Pour parler, il faut avoir un des diplômes de la parole : éducateurs, psychologues, psychiatres. La fonction infirmière s’est appauvrie, il faut dire qu’il n’y a plus de formation d’ISP depuis 1992 . La suppression de cette formation diplômante marqua -selon Oury- le début d’un assassinat de la psychiatrie. Ces établissements, de plus en plus nombreux, ne sont pas en phase avec l’humain et sa folie, ils ne connaissent que les protocoles.

Nous sommes dans l’ère du « tout chimique », du « tout médical », avec les contentions et l’isolement pour juguler les débordements de la jouissance mortifère, et pallier au manque de personnel. La clinique est envahie par les protocoles, les procédures, les évaluations normatives, les ratios de fonctionnement et les recommandations de « bonnes pratiques » de la HAS. La psychiatrie se transforme en technocratie régulatrice des crises existentielles, une psychiatrie inhospitalière qui n’accueille pas. La psychiatrie publique a été structurée en « pôles », avec mutualisation des moyens entre plusieurs secteurs. Voilà qui fait des ravages : le pôle, structure administrative et financière est confondue avec l’idée de « service » qui est une structure clinique. La notion même d’institution a été oubliée, ne demeure que l’établi, l’institué conservateur, avec ses chefs de pôles qui parfois ne connaissent rien à la psychiatrie, et sortent fraichement diplômés de l’ENS de Rennes. 

Le chef de pôle qui a des ambitions de carrière n’aura de cesse de satisfaire la direction de l’ARS, comme cette dernière fera tout pour satisfaire le ministre de la Santé ; et pour ce faire, il se dotera d’un DRH, d’un directeur des soins avec ses cadres de santé et ses médecins à sa botte. C’est ainsi qu’un projet managérial s’impose au médical, et les actualités récentes en sont une bonne illustration. Voir la souffrance au travail dans les services d’urgence.

La psychiatrie ne soigne pas, elle gère les crises psychiques.

Le secteur, faute de moyens suffisants, ne peut pas accueillir la folie. Les psychotiques sont à la rue ou en prison. Nous avons perdu 65 000 lits en quarante ans, ainsi comme le disait Oury, c’est l’antipsychiatrie qui a gagné. 

Demeurent quelques lieux qui résistent, telle la clinique de la Borde, où tout le personnel (idéalement) est soignant. 

Oury évoquait souvent le potentiel soignant du collectif ; il y incluait le potentiel soignant de certains patients. Oury n’aimait pas la distinction soignant-soigné, il préférait « payants-payés », c’est plus juste, car il y a eu des patients avec un meilleur potentiel soignant que certains salariés ; c’est pourquoi il préférait parler des fous-payants et des fous-payés, mais ça ne plaisait pas aux syndicats.

Oury, dans une interview filmée, disait que pour travailler en psychiatrie, il faut à la fois savoir être balayeur et pontonnier. Balayeur, pour une bonne asepsie, traquer, balayer les toxines mentales, tout ce qui pourrait être nocif, dans le fonctionnement institutionnel.

      Pontonnier, afin de faire des passerelles des uns vers les autres, d’éviter le cloisonnement, de faire des greffes « d’ouvert », afin de permettre à chacun de se délimiter. Si l’on est fermé, on est nulle-part, c’est le pontonnier qui permet quelque chose qui est de l’ordre de « l’avec », de « l’avec les autres ». D’autant plus que la spécialité des psychotiques, c’est de couper les ponts ! C’est peut-être le moment d’évoquer les clubs thérapeutiques, ils sont les outils paradigmatiques de la PI. Il s’agit de clubs intra hospitaliers, régis par la Loi de 1901, ils sont par conséquent indépendants de l’établissement. L’établissement psychiatrique traditionnel tel que Tosquelles le découvre en 1940 à Saint Alban, est marqué par des impératifs de ségrégation, de réclusion, et de contrainte. Pinel il y a deux siècles en parlait déjà de ce système concentrationnaire. Une hiérarchisation quasi militaire gérait des entités repérées : les gâteux, les agités, les travailleurs, les hommes, les femmes, les enfants-fous et anormaux, les hospitalisés libres. Création de ghettos aux effets mortifères : chronicisation et sédimentation. Au sein de ces établissements, le préjugé est roi, et le fou, mis en distance. 

La faible sociabilité des lieux est imputée au déficit individuel de chaque malade alors qu’elle est induite par l’établissement. Le Club thérapeutique est l’antidote à l’ambiance pathogène générée par l’institué. Comme le disait Tosquelles : « Le club thérapeutique est le Cheval de Troie dans l’institué ». Par la remise en question du style de la vie quotidienne imposé par l’établissement et sa hiérarchie, le Club ouvre vers l’environnement, devient vecteur de culture, refonde le collectif, et de ces faits, par la fonction de remise en question des règles de vie, le phénomène de la Folie retrouve sa dignité. 

      Ce travail en psychiatrie nécessite d’être sérieux, dans le sens de Kierkegaard. Le sérieux, c’est difficile à définir, c’est existentiel, c’est le sérieux existentiel. Si l’on quitte le sérieux, c’est la dérive, on peut alors transformer un hôpital psychiatrique en camp de concentration ! Oury répétait en boucle cette question existentielle : « Qu’est-ce que je fous là ? ». Cette question était pour lui quotidienne, essentielle, refus d’un « ça va de soi », et positionnement éthique de la fonction soignante. Qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce que « je », le fou que je suis, fait là ?

La PI prend en compte la double aliénation : par la psychothérapie et la sociothérapie.  « Ainsi l’aliénation est double : l’une – dans la lignée théorique de Freud et Lacan – par l’entrée du sujet dans l’ordre du langage et de la problématique du désir. L’autre – dans la lignée théorique de Marx – par l’entrée du sujet dans l’ordre social, mais l’une ne va pas sans l’autre, même si leur logique n’est pas la même » (Horace Torrubia, 1992).

Cela renvoie à une réflexion nécessaire sur le soin. Qu’est-ce que soigner ? 

Il y a une différence d’ambition entre la prise en charge et la prise en compte. De même, il y a une différence entre un établissement et une institution.

Entre le particulier et le singulier.

L’institution est toujours en avance par rapport à l’établissement.

L’institution est le phallus de l’établissement. Elle permet l’émergence des désirs et la confrontation entre instituant et institué, ce que l’on nomme processus d’institutionnalisation.

Pour conclure cette présentation de la PI, il ne s’agit pas de se demander comment faire de la PI dans votre établissement, mais plutôt comment la penser dans votre pratique, et de ça, nous pourrions en parler, à la fin de mon intervention.

3. La psychiatrie contemporaine.

Pour conclure cette intervention : Quelques mots sur la psychiatrie aujourd’hui, on peut dire qu’elle est en danger, certains évoquent sa disparition.

En  1992 , est supprimée arbitrairement la formation spécifique des infirmiers de secteur psychiatrique. Il aura fallu attendre cette décision politique annonciatrice d’une mort de la psychiatrie, pour que de nombreux psychiatres réagissent et s’expriment pour défendre la spécificité de ce métier et de sa formation, sans doute un peu tard, Oury accusera les psychiatres d’avoir laissé faire.

… et l’érosion du nombre de lits continue… comme le dit Oury :  « La psychiatrie est en danger depuis toujours. Mais c’est vrai qu’il y a, depuis plusieurs années, la mise en place d’un processus de destruction dont l’étape fondamentale a été la fermeture des écoles d’infirmiers psychiatriques. »  Alors, qu’en est-il de la psychiatrie aujourd’hui ? La disparition des 65 000 lits en 40 ans, la suppression de la formation des infirmiers sont des marqueurs d’une mort annoncée de la psychiatrie, qui peu à peu perd sa spécificité, réduisant sa clinique au DSM, pour ne devenir, à moyen terme, qu’une branche dévalorisée de la médecine. Les places sont rares en intra-hospitalier, un psychiatre de mes relations ironisait récemment sur « le jeu des chaises musicales » : dans son EPSM, pour que quelqu’un soit admis, il faut qu’un autre sorte, et les choix sont parfois draconiens, mettant en danger la vie des patients avec le risque suicidaire. Ainsi, les hospitalisations sont de plus en plus courtes, il s’agit dans l’urgence de « gérer » la crise psychique, (ce qui n’est pas l’accueillir) de la stabiliser en quelques jours, puis le patient, muni d’une prescription, sera renvoyé dans ses foyers, devra affronter le Réel qui pourra se montrer terrorisant et menaçant, avec comme perspective un suivi extrahospitalier en CMP ou en hôpital de jour. Dans certaines situations et de plus en plus fréquentes, il s’agit de non-assistance à personnes en danger.

Actuellement, nous assistons à un triple phénomène : 

. Une rationalisation économique et managériale de la santé publique, se traduisant par une désinstitutionalisation, observable par un externement généralisé. 

. Une indigence du « secteur » à être en contact des malades gravement touchés par la marginalisation et l’exclusion sociale. La vie dans la rue et la misère, ça rend le plus souvent fou. Des milliers de psychotiques vivent dans la rue et sans aucuns soins.

. Une augmentation inquiétante de systèmes de repérages des malades mentaux, afin de mettre en place des systèmes de classification, de statistiques, dans un but diagnostique ; codifications normatives des comportements observés, en lien avec des prescriptions psychopharmacologiques, censées être la seule réponse adéquate aux symptômes. Nous sommes loin d’une culture phénoménologique, psychanalytique, et psychiatrique, qui respecte le sujet dans sa position subjective ; loin d’une psychiatrie de l’homme.

En outre, il y a de nos jours une prolifération de cas de maltraitances, de nombreuses pratiques en matière d’isolement ou de fermeture des portes sont contraires aux réglementations en vigueur, en matière de droits des patients. Depuis une vingtaine d’années, nous assistons à un retour des pires pratiques asilaires, et en particulier suite au discours de Sarkozy en 2008, qui accéléra et rendit accrues les nouvelles mesures sécuritaires en psychiatrie : retour de plus en plus fréquent des contentions, utilisations abusives des chambres d’isolement, camisoles chimiques, chantages aux permissions de sortie, c’est-à-dire des lieux où le sujet n’a plus la parole, où il n’est plus qu’objet hétéronome d’une équipe de soins, ayant perdu son libre-arbitre.  « Isoler le patient dérangeant peut parfois offrir la possibilité de ne pas avoir à penser les modalités de son accompagnement, ni d’analyser ce qu’il y a de mortifère dans l’institution, d’aliénant dans certains comportements vis-à-vis des symptômes des malades (…).

En travaillant ainsi, le soignant croit se libérer, mais il se déresponsabilise, il perd le sens de son travail, et il peut ainsi échapper à la relation transférentielle qui le lie au patient, il est vrai que c’est parfois « lourd » à porter, mais tout le monde n’est pas obligé de travailler en psychiatrie. Je sais aussi que la PI est – en certains lieux thérapeutiques – la mauvaise conscience des équipes, lesquelles se réfugient dans le passéisme, évoquant sans cesse « l’avant » ; mais continuent à être impuissantes et fatalistes dans le présent, confondant principe de réalité et principe de résignation. En outre, il y a une culture psychiatrique qui se perd, il faut réagir, le niveau est devenu très bas, je connais des jeunes psychiatres de bonne volonté, mais complètement paumés, sans points de repères, faute d’une culture psychiatrique conséquente.

Après, en 2004 et 2008, il y a eu le voyeurisme de la société spectaculaire marchande qui a exploité deux faits divers. Cela marqua un tournant inquiétant, s’originant à deux drames qui ont considérablement nuit aux représentations collectives sur la psychiatrie : à Pau, en 2004, un patient schizophrène qui n’était plus en soins à l’hôpital, tua une aide-soignante et une infirmière, avec beaucoup de sauvagerie. Quatre ans plus tard, en 2008, un malade du CHS de Saint Egrève (Isère), pendant une « permission », assassina un homme en plein centre-ville de Grenoble. La psychiatrie devint le mauvais objet de Sarkozy – et de l’idéologie dominante distillée par les médias – pour de prétendus manquements face à la dangerosité des fous. Sarkozy préconisa que tous les services soient sous clés, voulut imposer un durcissement des conditions d’hospitalisation, il véhicula une idéologie ségrégationniste qui stigmatisa les malades psychiques et leurs familles. 

2008 fut marquée par le primat de la préoccupation sécuritaire au détriment des ambitions éthiques du soin psychique. La Folie fut associée à la dangerosité sociale, en assimilant la maladie mentale à la délinquance. Cette orientation sécuritaire est de plus aggravée par l’inégalité de l’accès aux soins, et par la mainmise gestionnaire et technocratique sur la psychiatrie. Enfin, grâce à Sarkozy (mais ni Hollande ni Macron n’y changeront quelque chose), ce qui est adressé aux psychiatres, c’est cette injonction : « A ttention danger, sécurisez, enfermez, contraignez, et surtout n’oubliez pas que votre responsabilité sera engagée en cas de dérapage ».

  L’antidote au fléau sécuritaire, c’est la PI, là où elle existe. Son principe fondateur est : si nous voulons soigner des malades psychiques, il faut en passer par le traitement de l’institution, et notamment par la praxis de l’analyse institutionnelle. Oury parlait souvent d’asepsie, non pas d’une asepsie émotionnelle, mais l’asepsie, au sens de « faire le ménage », se débarrasser de tout ce qui est mortifère, aliénant et pathogène dans le fonctionnement. La PI est à la psychiatrie ce que l’asepsie est à la chirurgie.

L’asepsie, c’est traquer les toxines mentales, éviter toutes les mesures d’isolement, et les routines aliénantes ; et au contraire, favoriser les conditions d’une ambiance qui ne soit pas nocive, prendre soin des  entours , où chacun peut exister comme sujet, et être partie prenante de la vie collective, dans le quotidien. Nous assistons maintenant à une banalisation des pires pratiques asilaires (isolement, contentions, camisoles chimiques), et ce constat est consubstantiel à la dérive managériale où le souci de rentabilité est roi, où l’établissement de soins devient une entreprise, où chaque acte est tarifé et payé. D’où une recrudescence des électrochocs en certains lieux : leur facturation élevée optimise non seulement les finances des établissements, mais aussi « technicise » l’image d’une santé mentale en recherche de légitimité scientifique.

Jean Oury conclura cette intervention  :  « Les conseils qui sont donnés dans les hôpitaux, c’est de revenir à la psychiatrie d’avant - guerre, à peu de choses près ! De différencier, de faire une ségrégation étagée : les aigus, les demi-chroniques, les chroniques, les déments, les foutus, les vieux…ils n’ont pas ajouté le four crématoire, mais ça viendra ! Et puis, sur le plan du personnel, si vous voulez davantage de personnel, vous pouvez lourder quelques infirmiers diplômés pour prendre trois ASH, c’est plus économique ! Ce sont les conseils ministériels ! C’est pour dire que tout va bien ! »

Merci de votre attention et d’être resté jusqu’à la fin. Nous pouvons discuter et échanger à bâtons rompus. Je peux aussi essayer de dissiper quelques difficultés ou incompréhensions, clarifier certains points. Après le « dit », faisons place au « dire », et  « qu’on se dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend », cette phrase est de Jacques Lacan, du coup, c’est lui qui conclura, mais Jean Oury ne s’en plaindrait pas…

Serge DIDELET 

1 Eric Miano, responsable de formation à l’IREIS s'en explique, évoquant un lapsus énorme, et si l'acte est manqué pour l'intitulé de l'intervention, il est réussi pour l'inconscient de son auteur, qui m'explique qu'il était dans un état de jubilation à l'idée de faire entrer le loup dans la bergerie, heureux à la perspective d'un moment instituant qui va un peu bousculer l'établi et ce qu'il considère comme une ambiance de plus en plus scolaire et normative. Alors il était content, sans doute pris dans la jouissance, le rire fut inscrit, au détriment du "sou" du "sourire"...

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